Antoine Robitaille
Le Devoir
«Il n’y a pas patron plus intraitable qu’un ancien syndicaliste radical
», dit-on. Cette maxime renferme peut-être une clé expliquant, en
partie, l’attitude du premier ministre Charest dans le conflit étudiant.
S’il avait eu 17 ans aujourd’hui, on peut gager que Jean Charest
porterait le carré rouge.
En 5e secondaire, à l’école Montcalm de Sherbrooke, il avait été élu
président de l’école. Dans son autobiographie J’ai choisi le Québec
(éditions Pierre Tisseyre, 1998), il fait le récit de ce « premier
mandat » : « J’avoue que je n’ai pas beaucoup étudié, cette année-là. Je
m’intéressais davantage aux affaires du conseil étudiant. L’école
comptait mille deux cents élèves. Nous avons organisé des grèves, des
contestations, des négociations avec les professeurs. Cela a été pour
moi un apprentissage de la responsabilité publique, qui comporte
plusieurs dimensions : il faut apprendre à résoudre des conflits, à
écouter, à trouver des solutions, à contester des décisions et aussi,
quand il le faut, à dire non et ce, dans un contexte où l’on doit
assumer la responsabilité de ses gestes. »
Si le militantisme étudiant a tant de vertus, on se demande bien
pourquoi le ministre responsable des dossiers jeunesse, aujourd’hui,
cherche autant à le brider. Peut-être parce que ça nuit aux études. «
J’ai terminé mes études secondaires sans distinction, admet-il dans son
autobiographie. J’étais un étudiant moyen. J’aurais pu avoir de
meilleurs résultats si je m’étais appliqué, mais à l’époque, ce qui
m’intéressait, c’était les activités du conseil étudiant, le sport et la
musique de Pink Floyd, d’Octobre et des Rolling Stones. »
***
André Pratte, dans sa biographie du chef libéral (L’énigme Charest,
Boréal 1998), s’arrête brièvement sur la période de militantisme
étudiant du futur premier ministre du Québec. En 1975, Jean Charest
étudie au séminaire Saint-Charles, un collège privé. Comme au
secondaire, il s’intéresse à la politique étudiante. Il participe
notamment à un mouvement de débrayage pour exiger la mixité de l’école.
Demande prioritaire ? Rencontrer le directeur du séminaire ! Au bout de
trois jours, le directeur accepte ; accueille les grévistes dans son
bureau. Qui prend la parole ? Jean Charest. Cela lui sert à progresser
dans le mouvement. Il « est appelé à présider une des assemblées
générales des élèves » et est « élu membre du "comité sur la mixité",
chargé de négocier avec la direction du séminaire ». Pourquoi ? « Je
savais organiser les grèves… » À l’époque, on ne parlait pas de
boycottage, à l’évidence.
Permettez-moi une hypothèse de psycho à cinq sous : au-delà des
considérations stratégiques et tactiques qui ont motivé le premier
ministre cette semaine, n’y a-t-il pas, dans ce projet de loi 78, une
volonté de mâter l’étudiant à la fois dissipé et militant qu’il a été ?
Chose certaine, lorsqu’il propose, dans la loi 78, de récupérer des
semaines perdues, on se dit que Jean Charest sait de quoi il parle.
Retournons à l’autobiographie : « Au collège, j’ai participé à la vie
politique étudiante, tout en préparant mon entrée à l’université. Cela
dit, j’avais loupé tant de cours qu’à la dernière session je me suis
retrouvé avec huit cours à terminer. J’ai quand même décroché mon
diplôme d’études collégiales, mais il a fallu en pédaler un coup. »
***
Autre paradoxe « charestien » révélé par cette loi 78 : sa propension à
instrumentaliser le droit. Lui, l’avocat qui aime tant rappeler
l’importance de l’État de droit, du respect des lois, a un parcours
marqué d’un fil rouge à cet égard.
Souvent, même, en l’observant ces dernières années, j’ai pensé à la
célèbre phrase de Coluche : « En politique, les études, c’est très
simple : […] c’est cinq ans de droit, tout le reste de travers. »
De travers comme ce fameux coup de téléphone à un juge de la Cour
supérieure en 1990, qui contraindra le jeune ministre à laisser son
portefeuille des sports. « Avocat de carrière et ministre depuis 1986,
note un journaliste à l’époque, Jean Charest pouvait difficilement
évoquer, pour sa défense, l’ignorance de la tradition d’indépendance du
pouvoir judiciaire face au pouvoir politique. »
Aujourd’hui, on pourrait
écrire : « Avocat de carrière et premier ministre depuis 2003, Jean
Charest pouvait difficilement évoquer, pour sa défense face aux aspects
abusifs de la loi 78, l’ignorance des règles constitutionnelles. »
Dans son autobiographie, lorsqu’il aborde sa formation juridique, Jean
Charest écrit : « Le droit […] nous apprend à raisonner, à manipuler des
concepts. » Ce type de manipulation s’observe dans plusieurs épisodes
de la carrière de l’homme. Le plus connu étant celui de la nomination
des juges, dont le caractère « post-itien » a été mis en lumière lors de
la commission Bastarache.
Mais il ne faut pas oublier la géométrie
variable de la directive d’éthique du Conseil des ministres, avant le
code de déontologie de 2011 ; les relations tendues avec les procureurs
de la Couronne ; la commission Charbonneau, d’abord instituée sans
pouvoir de contrainte, en ne tenant pas compte de la Loi sur les
commissions d’enquête. Il y avait assurément beaucoup d’exagération et
de mauvaise foi dans ces propos de Marc Bellemare sur Jean Charest : «
La justice, ça ne l’intéressait pas. Ce n’était pas des dossiers
politiques aussi importants que la F1. » Reste que parfois…
***
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire