« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


samedi 6 décembre 2014

Trudeau et Péladeau, la manière «people»



À gauche: Ryan Remiorz La Presse canadienne
Justin Trudeau et sa famille, dont sa mère, dans sa circonscription montréalaise

À droite: Graham Hughes La Presse canadienne
Pierre Karl Péladeau lors du lancement de sa campagne pour la présidence du PQ
Guillaume Bourgault-Côté
Le Devoir

Ils sont perçus comme les sauveurs de leur parti. Leurs pères étaient célèbres. Ils sont nés avec une cuillère d’argent — voire d’or — dans la bouche. Ils ont l’aura des rock stars et leur vie familiale fascine les magazines à potins. Deux politiciens atypiques, un phénomène : coup d’oeil sur ce qui unit — et différencie — Justin Trudeau et Pierre Karl Péladeau.

Le contraste ne pouvait être plus frappant. Dimanche matin, dans Rosemont, les candidats péquistes Jean-François Lisée et Pierre Céré débattaient devant une quarantaine de personnes dans un anonymat médiatique complet. Tout à l’opposé, quelques heures plus tard, Pierre Karl Péladeau était accueilli par une foule en liesse et un mur de caméras à Saint-Jérôme.  

Les événements étaient évidemment différents et difficilement comparables. Une assemblée de circonscription d’un côté, un lancement officiel de campagne de l’autre. Soit. Mais l’accueil réservé à Pierre Karl Péladeau illustrait néanmoins de manière éclatante l’avance écrasante que les sondages lui donnent dans la course à la chefferie du Parti québécois. Et il prouvait aussi par le nombre qu’il dispose d’un réseau de partisans nombreux — il a récolté 5000 signatures en quatre jours partout au Québec — et visiblement enthousiastes.

Ainsi les partisans de M. Péladeau se pressaient-ils pour lui serrer la main ou prendre une photo furtive du candidat et de sa conjointe, l’animatrice Julie Snyder. Un type de scène — et d’attrait — qu’on voit rarement en politique québécoise ou canadienne… sauf autour du chef libéral fédéral, Justin Trudeau. Dans les deux cas, le buzz excède largement la normalité des choses.

Si les deux politiciens se situent aux antipodes sur la question nationale, leurs parcours respectifs ne manquent pas de similitudes. Justin Trudeau doit une immense partie de sa notoriété à la carrière de son père. Pierre Karl Péladeau aussi, même s’il a passablement transformé la compagnie dont il a hérité. Chacun a une conjointe qui a fait sa marque à la télévision — à un niveau de popularité fort différent, mais quand même. Les deux sont millionnaires — quelques centaines de fois dans le cas de M. Péladeau —, manquent d’expérience politique, se font reprocher un certain flou dans les politiques, sont vus comme des sauveurs potentiels pour des partis qui se remettent d’une sévère défaite… Péladeau et Trudeau, même combat ?

Nouvelle incarnation

Il y a en effet beaucoup de ressemblances entre les deux, pense Thierry Giasson, chercheur principal au Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval. Il voit dans le duo Trudeau-Péladeau la représentation d’un phénomène qui excède les deux politiciens. « On a dans le monde de plus en plus d’exemples de politiciens qui viennent de la société civile, du monde du divertissement ou du spectacle, qui mettent en avant leur famille, viennent de milieux aisés, sont très connus avant même d’arriver en politique… On sent à travers leur popularité un engouement de la population pour des politiciens qui viennent d’autres filières que les milieux traditionnels », dit-il.

Pour M. Giasson, ce sont des « gens qui incarnent quelque chose d’autre, une nouvelle vision, une nouvelle offre de la politique. Et ils sont portés par un certain standing social. »

Le professeur souligne que le côté glamour de MM. Trudeau et Péladeau « fait d’eux des acteurs de la culture populaire de masse. Ça leur donne d’emblée un capital de notoriété, de reconnaissance visuelle dont ne profiteront jamais leurs adversaires ».

Et ils s’en servent. « Pierre Karl Péladeau est partout dans les médias depuis une quinzaine d’années, dit-il. Quand on parle de TVA, on parle d’un média de masse largement consommé, pas de culture d’élite. Toute sa vie professionnelle et personnelle — avec une conjointe qui est une superstar — est mise en avant. Ils n’ont pas peur de se mettre en scène, de raconter leur vie intime [M. Péladeau a parlé du psychanalyste de leur couple quand il a annoncé son entrée en politique en avril], leurs problèmes de fertilité, de se montrer en public. La même chose est vraie pour M. Trudeau, que l’on voit souvent avec sa femme et ses enfants [il raconte en détail dans son autobiographie comment il a séduit sa femme]. Cette aura bien entretenue permet aux gens de reconnaître le candidat plus rapidement et de le considérer différemment des autres politiciens. »

Des pères différents

Mais là s’arrêtent les comparaisons, pense Réjean Pelletier, professeur retraité de sciences politiques à l’Université Laval. S’il voit lui aussi des similitudes entre Justin Trudeau et Pierre Karl Péladeau, M. Pelletier note surtout plusieurs différences entre les deux. « Quelque part, ils sont très différents de leurs pères respectifs : Trudeau était un grand intellectuel qui aimait la confrontation, son fils semble à l’opposé de ça. Péladeau père était un entrepreneur plutôt conciliant, qui aimait discuter avec les gens, alors que son fils donne l’impression du contraire, ayant multiplié les affrontements avec ses adversaires. Les traits de caractère de Justin Trudeau et de Pierre Karl Péladeau me semblent très différents. »

Surtout que, si « M. Trudeau a vraiment profité du nom de son père, on ne peut nier que Pierre Karl Péladeau arrive avec sa propre réputation et un parcours nettement plus étoffé ». Dans les deux cas, toutefois, M. Pelletier signale « un manque d’expérience politique qui saute aux yeux ».

« Ils n’ont pas fait leurs classes, dit aussi Anne-Marie Gingras, qui enseigne la communication politique à l’UQAM. M. Péladeau multiplie les gaffes depuis qu’il a été élu député. Les gens semblent oublier qu’une personne qui a démontré des qualités dans un métier n’en aura pas nécessairement pour la politique. Personnellement, ça m’inquiète de voir qu’on peut s’enthousiasmer pour des personnages qui n’ont pas fait leurs marques sur le plan de l’intérêt public. »

Mais voilà : le côté people qu’ils ont à offrir a l’avantage de mettre en arrière-plan le discours sur les compétences politiques, note Thierry Giasson. « Plus on parle de Pierre Karl Péladeau la personne, moins on parle de son manque d’expérience politique, des conflits d’intérêts ou des lockouts », relève-t-il. Même chose pour Justin Trudeau. C’est là, en quelque sorte, un autre privilège des gens riches et célèbres, suggère-t-il.