parce que je n'ai pas besoin de le parler |
Mathieu Bock-Côté
Journal de Montréal
Journal de Montréal
Le Journal de Montréal nous apprenait ce matin qu’il y a désormais plus d’allophones que de francophones dans les écoles de Montréal. La nouvelle ne surprend pas vraiment, mais elle crée quand même un choc : on devine la situation de plus en plus intenable pour les enseignants qui sont appelés à transmettre un savoir et une culture dans une classe où les enfants ne partagent ni repères culturels profonds, ni la même langue. Eux-mêmes le confessent : ils craignent pour l’avenir du français. Cela nous oblige à réfléchir plus largement sur le rôle de l’école dans la transmission de l’identité nationale et cela, dans une société où elle ne va plus de soi.
On a beau dire de la loi 101 qu’elle fonctionne, et il nous faudrait immédiatement relativiser notre optimisme, elle supposait quand même une certaine pesanteur démographique de la majorité historique francophone. Une identité nationale ne peut pas seulement se transmettre par des procédés pédagogiques : elle suppose que l’immigrant se retrouve dans un environnement culturel où l’identité québécoise va de soi. Il faut, généralement, que l’immigrant se retrouve entouré de porteurs de l’identité nationale pour lui-même s’en imprégner spontanément, en s’appropriant les références, les évidences et les habitudes de la société d’accueil.
Les pressions de la mondialisation
Mais comment intégrer des immigrants avec d’autres immigrants plus ou moins intégrés à la culture québécoise ? Cette possibilité n’existait pas dans l’univers mental des révolutionnaires tranquilles qui avaient une vision historique et sociologique de la nation. Depuis quelques années, je résume la situation avec cette formule : la loi 101 devait produire des Québécois francophones. De manière générale, elle a plutôt produit des Canadiens bilingues. Il ne s’agit pas que d’une nuance. Souvent, chez les « enfants de la loi 101 », on s’identifie moins à la nation québécoise qu’à Montréal, considérée comme une métropole bilingue et multiculturelle spontanément accueillante envers les différentes manifestations de la diversité.
Le contexte géopolitique québécois n’aide évidemment pas à l’intégration nationale. La pression à l’anglicisation vient évidemment de l’Amérique anglophone mais aussi de la culture mondialisée qui impose partout ses symboles, ses vedettes, ses films et ses chansons. C’est l’idéal d’un « citoyen du monde » post-national qui s’impose peu à peu et qui donne à ceux qui s’en réclament un sentiment de supériorité morale. Je le redis, nous assistons déjà à la désaffiliation symbolique de Montréal par rapport au reste du Québec comme si le premier représentait l’avenir diversitaire radieux et le second un exaspérant passé archaïque, sentant un peu le renfermé.
C’est peut-être une nouvelle civilisation mondialisée et multiculturelle qui nait sous nos yeux, et Montréal est peut-être un de ses laboratoires privilégiés. Les liens entre la métropole et la nation se distendront peu à peu, pour n’être finalement plus qu’administratifs. Il ne serait pas surprenant que dans les décennies à venir, Montréal devienne peu à peu une « cité-État » et j’ai tendance à croire qu’en cas d’indépendance, une des grandes tâches du leadership politique sera d’éviter la sécession de Montréal par rapport au reste du Québec.
Réajuster les seuils d’immigration
Peut-on faire quelque chose ? Évidemment, il faudra tôt ou tard réajuster les seuils d’immigration. Entre l’étanchéisation absolue des frontières et leur neutralisation, voire leur abolition, il peut et doit y avoir un équilibre politique, qui doit d’abord tenir compte des capacités historiques, économiques, sociales et culturelles de la société d’accueil. Le Québec, depuis quelques années, manque de prudence et de peur d’avoir mauvaise réputation, a misé sur une hausse systématique des seuils d’immigration, jusqu’à devenir une des nations dans le monde qui accueille, toutes proportions gardées, le plus d’immigrants. Avons-nous les assises identitaires et historiques suffisamment solides pour cela ? N’est-il pas temps de changer de cap ?
Pour l’instant, l’école demeure le seul instrument dont nous disposions pour s’assurer de la prédominance de la culture québécoise au Québec. Mais l’école change de rôle : elle ne transmet plus seulement à un peuple sa culture. Elle introduit les nouveaux arrivants à ce peuple. Elle ne doit pas seulement cultiver un sentiment d’appartenance au Québec, mais bien souvent, l’inculquer. On devine le bouleversement pédagogique que cela implique. Une chose est certaine, la francisation des immigrants ne suffira pas. Il faudra aussi miser explicitement sur leur québécisation. Cela implique évidemment que l’identité québécoise n’est pas réductible à une appartenance administrative et géographique au Québec et que le Québec identifie lui-même les grands repères indispensables de son identité.
Miser sur la nation
Plutôt que de miser sur le multiculturalisme et son « droit à la différence », il faudra miser sur la nation et son devoir d’appartenance. Dans une certaine mesure, jamais l’enseignement de l’histoire n’aura été aussi indispensable à la conservation et à la promotion de l’identité nationale. Parce que c’est à travers l’histoire que se développent les mécanismes d’identification culturelle nécessaires à la perpétuation de la culture nationale. C’est-à-travers l’histoire qu’il nous sera possible de faire en sorte que le Québec demeure non seulement une société, mais une nation. C’est-à-travers l’histoire qu’un jeune immigrant peut rapidement, très rapidement, prendre le pli de la société d’accueil pour la rejoindre entièrement.
Il faudra que les jeunes allophones s’approprient pleinement la référence nationale. Ils devront reconnaître en Jacques Cartier, en Samuel de Champlain, en Louis-Joseph Papineau, en Honoré Mercier, en Lionel Groulx et René Lévesque leurs propres ancêtres. Je veux dire par là qu’ils devront apprendre à dire Nous avec la société d’accueil, avec la majorité historique francophone. On comprend l’immensité de la tâche. On devine l’ampleur des moyens nécessaires pour la mener à terme et le courage politique qu’elle exigera. Je m’interdis de croire qu’elle est impossible ou que le pari est intenable.
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