Jean-François Lisée a prononcé ce jeudi son premier discours à l’Assemblée nationale. (En plus il a fait court: 15 minutes !)
Vous pouvez le voir ICI ou, plus bas, le lire:
Mme la Présidente. Il me fait grand plaisir de m’adresser à cette Assemblée pour discuter de la motion proposée par la première ministre à la suite de sa déclaration d’ouverture, et chacun aura remarqué que l’essentiel… du moins, la première partie de son intervention portait sur l’éthique.
Et je crois que cette Assemblée, la 40e législature, les 40e rugissants sont investis d’une mission importante, un peu comme celle dont était investi René Lévesque lorsqu’il s’est présenté en 1976 ici avec un groupe de jeunes collègues qui avaient donné au Québec une réputation qui lui manquait à l’époque, une réputation d’intégrité et d’innovation dans l’intégrité.
Il faut se souvenir que, lorsque le premier ministre Lévesque a déposé la loi sur le financement des partis politiques, loi qui, ensuite, a été imitée par le gouvernement français et le gouvernement libéral de M. Jean Chrétien, c’était une folle innovation. Folle, pas dans le sens que ce n’était pas sage, mais c’était très loin de ce qui se faisait dans les pays démocratiques, et le Québec a pu montrer la voie à plusieurs autres États qui, ensuite, l’ont imité.
Évidemment, les corrupteurs sont des gens qui sont extraordinairement inventifs et, après quelques années, ils ont su comment contourner ce que cette Assemblée avait voté, et il était temps, bien sûr, de revenir à la charge et de trouver de nouvelles dispositions pour contrer cette volonté corruptrice.
Mais je pense que cette Assemblée a encore un devoir plus grand, si c’est possible, qu’était celui qui incombait à l’équipe de René Lévesque, parce que la réputation du Québec, ces dernières années, a été très entachée par l’augmentation, la dissémination de ce cancer qui est la corruption, et nous avons pu vivre, ces dernières années, une détérioration de l’image du Québec à cause de cela.
Pourquoi est-ce que l’État québécois n’a pas été aussi vigilant qu’il n’aurait dû le faire? Je pense que, ces jours-ci, nous déposons les projets de loi, nous faisons appel à l’opposition pour qu’elle les bonifie et qu’elle les adopte rapidement, mais je pense que cette volonté de collaboration ne doit pas nous conduire à fermer les yeux face à ce qui s’est produit avant cette élection.
Le temps de l’action est venu, bien sûr, mais il faut savoir qu’il ne suffira pas d’adopter des lois pour rétablir l’intégrité. Il faut aussi rétablir un état d’esprit. Et l’intégrité, ce ne sont pas que des règles, des lois et des règlements, mais c’est un état d’esprit. Et on a vu, ces dernières années, ce qu’il ne faut pas faire si on veut maintenir un état d’esprit intègre.
Alors, si on devait faire cette liste sans vouloir accabler personne, on devrait dire, bien, par exemple, ce qu’il ne faut pas faire, c’est qu’un premier ministre élu ne doit pas prendre des dizaines de milliers de dollars par année comme supplément à son salaire personnel pendant 10 ans et ne pas en informer la population. Ça, ce serait une chose à ne pas faire si on veut créer un climat d’intégrité.
Une autre chose à ne pas faire, c’est demander à ses ministres de ramasser chacun 100 000 $ par année. Je ne dis pas que c’est illégal. Je dis que, si on veut créer un esprit d’intégrité, il ne faut pas mettre des ministres du gouvernement dans une situation qui les pose dans la zone grise de l’éthique, où ils doivent se tourner vers des contracteurs, vers des individus, des citoyens qui ont des activités économiques leur permettant de financer le parti politique.
Et d’ailleurs on a vu, par glissement, que cet état d’esprit, qui s’éloignait de l’intégrité, qui prenait des risques avec l’intégrité, a conduit deux ou trois ministres de l’ancien gouvernement à dire candidement: Bien, c’est normal que les compagnies financent un parti politique. Bien, non. C’est illégal. Mais le climat ainsi créé était tel que même les gens qui sont les gardiens de l’intégrité ici avaient oublié qu’un des éléments essentiels de notre loi de financement des partis politiques est que les entreprises, comme les syndicats ou organisations, n’ont pas le droit de donner à des partis politiques.
La culture de l’éthique, encore une fois au-delà des mesures, c’est aussi de savoir qu’il est important d’intervenir en amont. Lorsque les premiers signes de la corruption ou de la collusion apparaissent, il est important d’intervenir avant que ça empire. C’est un peu ce qu’a fait René Lévesque et c’est un peu ce que nous faisons maintenant, dans une situation où, dès notre arrivée, nous insistons sur ces aspects. Mais, si je reprends ma question: Que faut-il ne pas faire? Bien, on a un exemple récent. Lorsque les premières allégations, les premières indications ont été données vers 2004, 2005, 2006, rien n’a été fait par le gouvernement précédent. Et ensuite, devant une pression populaire massive, au dernier moment, le dos au mur, mandat a été donné à celui qui deviendrait député de Saint-Jérôme de faire un rapport sur la collusion d’un ministère des Transports, mais vraiment au dernier moment, au pied du mur, dans l’improvisation, sans trop savoir ce que ça donnerait. Et ensuite, sous la pression, puisque ce n’était pas suffisant, parce que des maires commençaient à dire qu’ils étaient dans l’obligation de donner des contrats à des gens qui ne semblaient pas au-dessus de tout soupçon, eh bien, une première opération a été autorisée, opération Marteau, mais, encore là, au pied du mur, sous la pression, le plus tard possible, et ensuite l’UPAC, au pied du mur, le plus tard possible.
Évidemment, cette commission d’enquête Charbonneau, qui était demandée d’abord par notre collègue députée de la CAQ, et ensuite par le Parti québécois, et ensuite par les ingénieurs, le Barreau du Québec, et ensuite par la FTQ-Construction, et ensuite, même, par le chef de la deuxième opposition, dans cet ordre, Mme la Présidente, dans cet ordre, eh bien, il a fallu attendre, attendre et attendre que la pression soit intenable avant que l’ancien premier ministre accepte d’imaginer une formule de commission eunuque, parce que, dans sa première version, elle était eunuque, cette commission, elle n’avait même pas les droits que des commissions d’enquête générales peuvent avoir.
Et c’est ensuite, par un genre de concours de circonstances qui a mis un peu dans l’embarras le chef actuel de l’opposition qui disait que c’était non seulement non nécessaire, mais probablement nuisible… hein, dans cette Chambre, pendant des mois, on nous a dit qu’une commission d’enquête, proprement dite, serait nuisible. Et finalement, heureux dénouement, dans un discours devant son parti, l’ancien premier ministre a admis que finalement ce ne serait pas si nuisible que ça, ce serait peut-être une bonne chose. Et donc la commission a pu commencer à travailler.
Alors, quand on fait la liste de ce qu’il ne faut pas faire si on veut une culture de l’intégrité, nous avons à notre disposition une très bonne liste dans l’histoire récente de la politique québécoise.
Maintenant, si on veut savoir ce qu’il faut faire, bien il faut se retourner, effectivement, à l’exemple de René Lévesque, agir immédiatement de façon innovante pour mettre un terme aux portes ouvertes, aux fenêtres ouvertes, ou aux carreaux ouverts, ou aux fissures existantes qui permettent aux corrupteurs de s’intégrer, de s’ingérer, de s’infiltrer dans le système démocratique.
Notre projet de loi n° 1, le projet de loi n° 1 qui innove… nous ne trouvons pas, nous en cherchons, peut-être allons-nous en trouver, mais d’autres exemples, dans des démocraties, et a fortiori dans des non-démocraties, où on va, à partir de maintenant, donner une vérification d’intégrité à la totalité des contracteurs, des gens qui font affaire avec les administrations publiques. Nous allons créer là une nouvelle façon de s’assurer de l’intégrité pour les entreprises québécoises et les entreprises étrangères.
Ça m’intéressait de le voir dans le projet de loi n° 1, on en avait discuté, parce que, comme vous le savez, nous allons ouvrir probablement nos marchés publics à des entreprises européennes, et certains ont déclaré que, bien, vous savez, il y a aussi de la corruption à l’étranger. Tout à fait. Et ce qui fait qu’avec le projet de loi n° 1 toutes les entreprises voulant faire affaire avec les municipalités, le gouvernement québécois devront avoir passé ce test d’intégrité, y compris les entreprises étrangères, et ce sera intéressant lorsqu’on aura quelques cas comme ceux-là.
Le projet de loi n° 2, qui complète le travail de René Lévesque en réduisant à 100 $ par personne la contribution sans… à coût nul pour l’État, puisqu’on va augmenter la contribution publique au financement des partis politiques, permet, encore là, de rendre la tâche quasi impossible aux fraudeurs, quasi impossible. Et je salue mon collègue le ministre des Institutions démocratiques pour avoir déposé ce projet de loi.
Et ensuite, le lendemain, il a déposé le projet de loi n° 3 qui, lui, nous permet de cesser la politisation de la date de l’élection, qui a été vue, en fait, comme un bris d’éthique, puisque, cette capacité d’un premier ministre de choisir: Est-ce que c’est maintenant, est-ce que c’est dans trois mois, est-ce que c’est dans six mois?, et d’organiser des événements autour de son propre profit politique, je pense que ça nous éloignait de l’esprit d’intégrité, de la culture d’intégrité que nous voulons rétablir au Québec. Je tiens encore une fois à saluer mon collègue pour avoir introduit ce projet de loi.
Qu’on pense à rebours, si ce projet avait existé un peu avant, nous aurions su depuis longtemps qu’il y aurait des élections à la fin septembre 2012, nous l’aurions su. C’eût été plus difficile alors pour le gouvernement précédent d’organiser la rentrée des classes obligée à la mi-août, en espérant qu’il y ait du grabuge avec une élection déclenchée le 1er pour le 4 septembre, avec cet événement souhaité, c’est-à-dire du grabuge dans le milieu de la campagne, pour permettre une réélection des tenants de la loi et l’ordre. C’était le plan. Évidemment, le plan a été déjoué par la très grande maturité de la cohorte 2012 des étudiants qui ont décidé de se retirer de la cible et donc de déjouer ce plan électoral.
Mais repensons à ce qui se serait produit si nous avions su que l’élection était légalement à se tenir à la fin septembre, l’ancien gouvernement n’aurait pas pu jouer avec les dates, n’aurait pas pu jouer avec une crise sociale qu’il a délibérément envenimée, et on aurait eu une élection plus sereine, dans un climat normal de retour avec… prévisible à l’électorat.
L’intégrité, c’est une culture aussi… c’est une culture qui dit quelque chose aux autres sur nous. Ça nous le dit à nous, mais ça le dit aux autres. Et la réputation que le Québec est en train de se faire dans le monde, c’est une réputation de création, d’innovation, de culture, de qualité de produit, et c’est ce qu’on veut… et de démocratie, et c’est ce qu’on veut que le autres pensent et sachent de nous parce que ça nous rend fiers d’être ce que nous sommes et ça attire chez nous des talents, des artistes et des investissements.
Mais, si, pendant plusieurs années, ce qu’on dit de nous à l’étranger, c’est que nous sommes exceptionnels par le niveau de la corruption et que nous sommes exceptionnels par l’incapacité ou la faible volonté du gouvernement d’agir là-dessus, eh bien, ça n’attire ni les talents ni les investissements. Et je ne sais pas si, un jour, des économistes pourront calculer le coût économique qui a été imposé au Québec ces dernières cinq, six ou sept années par cette incapacité du gouvernement précédant à prendre vraiment ce dossier à bras-le-corps et d’arrêter la collusion au moment où elle progressait, mais ce coût doit être énorme.
Alors, que faire, maintenant? Bien, ce qu’on doit faire, c’est de prendre ce boulet et en faire un atout, en faire un atout, un peu comme René Lévesque l’a fait en 1976-1977, et dire: Bien oui, nous, dans ce coin d’Amérique du Nord, nous ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes de corruption. D’ailleurs, j’étais content de voir, au premier jour de la commission Charbonneau, que des experts sont venus dire qu’en Ontario la chose existait aussi. Était-elle pire, équivalente, moins pire? Difficile à dire. En ces matières, les indicateurs fins sont difficiles à saisir. Mais, en tout cas, il est certain que le Québec n’est pas un endroit qui est hors norme en matière de corruption et de collusion.
Cependant, si nous travaillons correctement, et je pense que nous avons commencé à la faire, nous pouvons devenir hors norme dans notre lutte contre la corruption. Et comme cette loi de M. Lévesque était devenue un modèle pour le monde, nous devons aussi essayer de faire en sorte que, d’ici un an ou deux, ce que nous avons fait pour éradiquer la corruption et la collusion au Québec, pour faire rétablir la culture d’intégrité devienne un modèle et que d’autres viennent voir chez nous ce qu’on a fait avec la loi n° 1, avec la loi n° 2, avec la loi n° 3, avec les mécanismes qu’on va ajouter. Je peux vous dire que mes collègues travaillent sur plusieurs aspects et que ce n’est pas terminé, l’action législative et réglementaire que nous allons mettre en oeuvre pour rétablir la culture d’intégrité au Québec.
Alors, mon espoir, c’est de pouvoir dire au monde, comme ministre des Relations internationales et du Commerce extérieur: Vous savez, vous avez peut-être un petit problème de corruption chez vous, je ne sais pas, c’est à vous de voir. Mais, en tout cas, si vous voulez des conseils, nous, on en a à vous donner. Si vous voulez un modèle, on essaie d’en construire un, comme on s’est tournés vers New York pour voir comment eux avaient créé une unité permanente, après avoir fait le ménage, l’unité permanente de validation constante de l’intégrité des contracteurs pour la ville de New York, nous devrons, nous aussi, faire en sorte qu’après ce grand ménage il y ait un processus permanent de garde-fou contre la corruption.
Alors, c’est un peu le défi que nous avons devant nous. À la fois, d’une part, faire ce grand ménage, rétablir la culture de l’intégrité et en faire une force pour pouvoir dire à tous: Bien, au Québec, on a innové. On a innové dans l’intégrité. Et, si on peut aider les autres à faire ce chemin que nous venons de faire, peut-être avec moins de coûts, moins de heurts, moins de pertes, bien, nous serons heureux de contribuer à ce que d’autres nations puissent tirer des enseignements de notre propre histoire récente.
Mme la Présidente, je vous remercie
Source: jflisee.org
On va peut-être dire que j'exagère, mais cet homme me fait penser à Jacques Parizeau.
RépondreSupprimerEn tout cas, il a de la prestance.
D'autres diront ceci: http://lesnews.ca/politique/30513-jean-francois-lisee-est-%C2%ABpesant%C2%BB-a-quebec/
May West