« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


lundi 24 février 2014

Quand le Canada devient marchand d’armes




Jean-Claude Leclerc
Le Devoir
24 février 2014

Alors que le ministre du Commerce international, Ed Fast, s’adonnait en 2012 et 2013 à des missions en Arabie saoudite, le grand mufti y déclarait qu’il « est nécessaire de détruire toutes les églises chrétiennes de la région ». Des évêques d’Allemagne, d’Autriche et de Russie, rapporte l’agence Reuters, ont émis des protestations. Il y a peu de chrétiens russes dans les pays du Golfe, mais plus de trois millions de catholiques, venus de l’Inde et surtout des Philippines, y travaillent. L’incident ne pouvait pas avoir échappé aux diplomates d’Ottawa.

Depuis 2010, une telle condamnation (fatwa) y est réservée à un Conseil officiel du haut clergé. Le dictat du cheikh Abdul Aziz ibn Abdullah, chef du Conseil suprême des théologiens, n’a pas été publicisé par la presse du pays, sous contrôle d’État. Ce cheikh a, depuis, condamné toute violence contre d’autres musulmans (ou d’autres croyants sous protection musulmane), d’après l’agence de presse gouvernementale SPA. Vu l’influence du mufti, Riyad n’aurait donc pas pris à la légère son incitation à détruire les églises chrétiennes.

L’Arabie saoudite n’est pas un pays où les libertés sont reconnues, note Freedom House, un institut américain, dans un rapport de 2012 sur la liberté dans le monde. L’islam en est la religion officielle, et les Saoudiens sont tous tenus d’être musulmans. Le gouvernement interdit la pratique publique de tout autre culte, et restreint celle des minorités chiites et soufies. Le droit des chrétiens et des autres non-musulmans se limite au culte privé. Même les chiites ne peuvent plus ériger de mosquée.

Les pays du Golfe ne sont pas tous réfractaires aux confessions chrétiennes. L’an passé, une église a été consacrée à Ras-El-Khaimah, un des Émirats arabes unis, rapporte le journal La Croix. De même, dans l’émirat d’Abu Dhabi, qui compte déjà une cathédrale dans sa capitale, la première pierre d’une future église a été bénie, sur un terrain de 4500 mètres carrés, un don de la municipalité à l’Église catholique. Le roi du Bahreïn a aussi fait don d’un terrain pour y construire une église.



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Par contre, Riyad reste opposée à toute démocratisation du pays. Les réformes se limitent à des conseils purement consultatifs. Des élections, il est vrai, sont maintenant permises sur le plan municipal, mais les femmes n’y prendront part qu’en 2015. La presse est contrôlée par le gouvernement. Le Code criminel a été modifié pour interdire toute critique du pouvoir royal ou de l’autorité religieuse. Les manifestations d’opposants sont réprimées et la presse étrangère ne peut, sous peine d’exclusion, les couvrir.

Or, dans la longue liste des « interventions » des Affaires étrangères du Canada, on ne trouve aucune trace de dénonciation concernant l’Arabie saoudite. Pendant que le ministre Ed Fast y était en mission commerciale, John Baird, son collègue des Affaires étrangères, multipliait les déclarations plus ou moins indignées sur des violations survenues au Nigeria, en Égypte, en Tanzanie, en Syrie, au Pakistan, au Bangladesh, au Kenya, sans oublier les Bahaïs en Iran. Mais, sauf erreur, rien sur l’Arabie saoudite.

Depuis, prenant la relève, l’ambassadeur Andrew Bennett, chef du Bureau de la liberté de religion, s’est montré « vivement préoccupé » de la persécution des Bahaïs en Iran. Il l’est aussi des violences contre les chrétiens en Égypte, voire des « conversions forcées »en Syrie. Plus récemment, il s’intéressait à l’Ukraine. Or, semble-t-il, il faut faire partie d’une « minorité vulnérable » pour avoir droit à ses interventions. Les majorités opprimées comme en Arabie saoudite ne relèvent pas de son mandat.

Entre-temps, de retour au Canada, Ed Fast annonçait que le Canada est désormais un important vendeur d’armes. Mieux encore, à des ouvriers enthousiastes de London, en Ontario, il apprend que leur usine construira bientôt des blindés légers pour l’Arabie saoudite. Un contrat de plusieurs milliards de dollars, de quoi occuper pour 14 ans pas moins de 3000 travailleurs et 500 compagnies d’ici. « C’est une victoire olympique pour le Canada et les manufacturiers canadiens », s’écrit Jayson Myers, le président des Manufacturiers et Exportateurs canadiens.

Le Canada a déjà antérieurement livré à l’Arabie saoudite des véhicules militaires légers, comme les soldats canadiens en ont utilisé en Afghanistan. À voir leur efficacité contre des combattants résolus, ces blindés n’auront guère d’utilité là-bas, sauf pour réprimer les mécontents qui osent manifester en public, chiites, jeunes chômeurs, femmes en mal d’émancipation. Y a-t-il péril dans le royaume ? La moitié des étudiants y sont des femmes. Riyad verse des millions en pétrodollars pour donner aux populations de meilleures conditions de vie : loyers abordables, assurance chômage, salaire accru aux fonctionnaires. À quoi bon ces blindés alors ?

À donner des jobs au Canada, bien sûr, des contrats aussi aux compagnies canadiennes, et des profits à General Dynamics et à sa filiale ontarienne. Mais ces milliards achèteront avant tout des votes aux conservateurs. L’opposition se dit scandalisée qu’on vende des armes à un pays si peu respectueux des libertés. Mais le NPD ira-t-il jusqu’à suggérer à ses amis syndiqués une grève des blindés ? C’est peu probable, même si ces exportations seront financées par les contribuables d’ici.

Par contre, ces milliards ne cacheraient-ils pas quelque pot-de-vin ou détournement de fonds ? Des inondations ayant fait plus de 120 victimes en 2009, le roi Abdullah avait poursuivi 40 fonctionnaires de Djeddah, pour corruption, incompétence, défauts de construction ou d’ingénierie. Une autre catastrophe en ayant déplacé des milliers, qu’a fait le roi ? Il a décrété une commission anticorruption pour surveiller les ministères…

ICI  et ICI

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