« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


jeudi 20 février 2014

Charte de la laïcité - La Cour suprême n’a pas de leçons à donner




Frédéric Bastien
Le Devoir 

Le sept février dernier, l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour dénonçait le projet de laïcité du gouvernement péquiste. Qualifiant le tout d’odieux et discriminatoire, elle en a profité également pour faire la leçon, rappelant aux Québécois leur soi-disant passé scabreux en la matière, citant à l’appui les violations des droits des communistes et des témoins de Jéhovah sous Duplessis. Heureusement, poursuit-elle, la Cour suprême était là pour barrer la route aux autorités québécoises ! En réalité, Mme Arbour utilise sa mémoire sélective pour nous faire croire que les élus, ceux du Québec en particulier, sont toujours prompts à violer nos libertés tandis que les juges les défendent.

Errements

S’il est indéniable que le gouvernement fédéral ou celui de certaines provinces ont à quelques reprises violé les droits de groupes de citoyens dans le passé, cela ne signifie nullement que les juges n’ont pas erré dans ce domaine. Prenons d’abord l’exemple de l’affaire Zundel, cet immigrant d’origine allemande qui, dans les années 80, produisait une abondante littérature antijuive, affirmant notamment que l’Holocauste n’avait pas eu lieu. Ce dernier est alors accusé et condamné par deux tribunaux ontariens suivant certaines dispositions du Code criminel, notamment l’interdiction de la propagande haineuse. En 1992 toutefois, la Cour suprême utilise la Charte des droits pour libérer Zundel. Beverly McLachlin, auteure du jugement et devenue depuis juge en chef, a alors défendu le droit de mentir en écrivant que la vérité historique est relative. Zundel croit peut-être sincèrement que l’Holocauste n’a pas eu lieu. Sa liberté d’expression est donc bafouée par le Code criminel, dont certains articles sont alors déclarés inconstitutionnels.

Libre de continuer à répandre son fiel antijuif, Zundel est arrêté une dizaine d’années plus tard. Il est alors déclaré menace à la sécurité de l’État en vertu de ses liens avec des groupes néonazis. Déporté en Allemagne, il est accusé de nier l’Holocauste et condamné à cinq ans de prison. En quoi les droits des Juifs de ne pas être victimes de haine raciale ont-ils été bien défendus par la Cour suprême dans cette affaire ? Comme dit l’adage, poser la question c’est y répondre.

Arrêtons-nous maintenant sur l’arrêt Multani en 2006, en vertu duquel les élèves sikhs ont obtenu le droit de porter le kirpan à l’école. Cette décision fait complètement fi du droit à la sécurité de l’immense majorité des étudiants, ceux qui n’ont pas le droit de porter un poignard. Symbole religieux ou pas, un couteau est une arme blanche, dangereuse, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est interdit de monter à bord d’un avion avec un kirpan. De plus, en instaurant différents droits pour différentes communautés, cette décision de la Cour suprême a fait passer à la trappe un principe fondamental de justice, celui de l’égalité de tous devant la loi.

Une autre décision déplorable a été prise lors de l’arrêt Askov en 1990. Encore une fois en se fondant sur la Charte, la Cour suprême a annulé la procédure entamée contre un criminel notoire sous prétexte qu’il n’avait pu être jugé dans des délais raisonnables. Cette décision a entraîné par la suite l’arrêt des procédures ou la libération de dizaines de milliers de personnes accusées de crimes graves, dont Askov lui-même, qui commettra de nouveaux délits peu de temps après et sera condamné à six ans de prison. Inutile de dire que le droit à la sécurité des Canadiens n’a pas été bien servi par cette décision.

Justice indépendante

Outre ces verdicts contestables, les juges ne sont pas non plus de preux défenseurs de nos droits, au-dessus de la mêlée, comme le laisse entendre Louise Arbour. Dans mon livre La bataille de Londres, j’ai révélé les gestes posés par deux juges de la Cour suprême en 1980-1981, Bora Laskin et Willard Estey, qui ont transmis de l’information sensible au pouvoir exécutif, violant ainsi le principe de séparation des pouvoirs. Nos droits à une justice indépendante du pouvoir politique ont-ils été protégés à cette occasion ?

La liste des gestes douteux, décisions discutables ou carrément stupides prises par des juges en matière de droits fondamentaux est longue. Au lieu de sermonner, Louise Arbour ferait bien de se garder une petite gêne. La Cour suprême n’a pas de leçons à donner en la matière.



Frédéric Bastien - Professeur au collège Dawson et auteur de La bataille de Londres (Boréal, 2013)

Source: Le Devoir

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