Louis-Gilles Francoeur
21 septembre 2012
Certains commentaires entendus depuis 48 heures sur le nouveau cabinet
Marois laissent songeur. Si tous ont relevé l’accent mis par la première
ministre sur l’environnement, la plupart ont présenté ça comme une
sorte de faille ou à tout le moins un irritant pour nos agents
économiques. En somme, la nomination de Martine Ouellet aux Ressources
naturelles et de Daniel Breton à l’Environnement a été accueillie par
plusieurs avec un petit sourire en coin, comme une illustration d’une
sorte de légèreté économique du nouveau gouvernement. Cela confirmerait
même les « faiblesses » que l’ancien premier ministre, Lucien Bouchard,
disait déceler dans le programme économique du nouveau gouvernement.
Tout cela reflète en réalité à quel point plusieurs de nos leaders
politiques — et d’opinion — sont en retard par rapport à la science
économique, par rapport aux approches des grandes institutions et de la
société civile internationales. Rappelons que la dernière conférence
internationale de Rio a fait consensus sur la nécessité de passer
maintenant à une véritable « économie verte ». Y compris, d’ailleurs,
les grandes organisations internationales à caractère économique !
Pourquoi alors nos édiles économiques et nos leaders d’opinion ne se
demandent-ils pas quand et comment nous allons plutôt passer à l’action
dans ce domaine plutôt que de se coller à une vision passéiste de
l’économie ?
Dans cette vieille vision, les agents économiques ciblent une réduction
maximale des coûts qui se traduit par une diminution optimale des
charges sociales et des obligations environnementales. C’est cette
logique, poussée à bout, qui incite les entreprises à migrer vers des
pays où les normes sociales et environnementales sont inexistantes ou
embryonnaires. Et plutôt que de multiplier les embûches aux
délocalisations d’entreprises, nos gouvernements plient
systématiquement, refusant souvent d’exiger le remboursement des aides
publiques et fiscales consenties par la société civile pour les
consolider. C’est la même approche, à une autre échelle, qu’adoptent nos
minières et certains promoteurs urbains ou nordiques qui profitent du
laxisme de notre gestion environnementale pour créer une dette
collective, dont on tait l’ampleur, sous forme de destruction d’habitats
essentiels ou non restaurés, de pollution ou de contribution abusive,
mais invisible, aux grands problèmes de la planète comme le
réchauffement climatique.
Ce qui est inquiétant dans l’attitude de nos médias, c’est de constater
qu’ils n’arrivent pas à dépasser la classique opposition entre économie
et environnement.
Pourtant, c’est la commission royale d’enquête présidée par l’ancien
ministre fédéral Donald S. Macdonald « sur l’union économique et les
perspectives de développement du Canada » qui recommandait en 1985, dans
un rapport axé sur le libre-échange et la réduction des interventions
de l’État, de renforcer sensiblement les règles et normes
environnementales pour que cesse le pillage de ressources sans
lesquelles l’avenir économique du Canada sera compromis à long terme.
C’était deux ans avant le rapport Brundtland qui allait lancer le
concept de développement durable.
Encore aujourd’hui, il n’est pas un média qui n’applaudira pas comme
une réussite économique une hausse de la construction domiciliaire
autour de nos grandes villes. Pourtant la science de l’économie, qui
vise un peu plus large que les profits des entreprises, nous apprend
depuis longtemps que vider une ville centre au profit des banlieues
augmente la dette des services de ceux qui restent. Et ceux qui restent
vont aussi devoir payer des taxes additionnelles pour payer les nouveaux
services qu’il faudra offrir aux nouveaux banlieusards, comme l’eau,
les égouts, les routes, les écoles, etc., sans parler de la dette
environnementale invisible que représentent les pertes en milieux
naturels et agricoles. Les gains réels se limitent ici généralement aux
profits des promoteurs privés.
Il devrait être plutôt rassurant — et cela dans une perspective
économique et pas seulement dans une perspective écologiste — de voir un
gouvernement proposer une approche qui mise sur la protection des
ressources et de la nature au profit de l’ensemble des acteurs
économiques actuels et futurs. Quand certains dévastent des milieux
naturels, il arrive que d’autres acteurs économiques y perdent,
principalement ceux qui profitaient jusque-là de ces ressources
dévastées ou qui les exploitaient parcimonieusement. Le discours sur les
« omelettes qu’on ne fait pas sans casser d’oeufs » est beaucoup plus
une excuse pour de mauvais comportements qu’une justification.
La question que politiques, économistes et médias devraient se poser
devant l’accent que le gouvernement semble vouloir mettre vers un
développement plus durable, c’est quelles sont ses chances d’y arriver.
Les difficultés seront multiples, et peut-être insurmontables dans
certains cas. Les lobbys qui profitent de l’absence de règles en matière
de milieux humides, par exemple, ont déjà eu la tête de Thomas Mulcair,
alors titulaire de l’Environnement. La révision du Plan Nord et les
modifications qui seront apportées par la ministre Ouellet — à qui on
doit des analyses décapantes du projet de refonte de la Loi sur les
mines — vont sans doute provoquer des vagues de fond chez les grands
investisseurs et chez nos « lucides », pour qui l’économie verte est
encore un irritant et non pas un potentiel.
On verra alors si le ministre Breton a pris ses rêves pour la réalité en déclarant que les verts étaient désormais au pouvoir…
Source: Le Devoir
Source: Le Devoir
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Je ne comprends pas pourquoi Le Devoir a cadenassé cette chronique de L.-G. Francoeur.
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