« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


samedi 22 septembre 2012

Verdir l'économie

« L’économie verte suscite un engouement indéniable partout à travers le monde.» Par Lucie Verreault
Chercheure au Laboratoire d’étude sur les politiques publiques et la mondialisation (LEPPM) de l’École nationale d’administration publique du Québec. ©iStockphoto/oonal

Louis-Gilles Francoeur
21 septembre 2012

Certains commentaires entendus depuis 48 heures sur le nouveau cabinet Marois laissent songeur. Si tous ont relevé l’accent mis par la première ministre sur l’environnement, la plupart ont présenté ça comme une sorte de faille ou à tout le moins un irritant pour nos agents économiques. En somme, la nomination de Martine Ouellet aux Ressources naturelles et de Daniel Breton à l’Environnement a été accueillie par plusieurs avec un petit sourire en coin, comme une illustration d’une sorte de légèreté économique du nouveau gouvernement. Cela confirmerait même les « faiblesses » que l’ancien premier ministre, Lucien Bouchard, disait déceler dans le programme économique du nouveau gouvernement.

Tout cela reflète en réalité à quel point plusieurs de nos leaders politiques — et d’opinion — sont en retard par rapport à la science économique, par rapport aux approches des grandes institutions et de la société civile internationales. Rappelons que la dernière conférence internationale de Rio a fait consensus sur la nécessité de passer maintenant à une véritable « économie verte ». Y compris, d’ailleurs, les grandes organisations internationales à caractère économique ! Pourquoi alors nos édiles économiques et nos leaders d’opinion ne se demandent-ils pas quand et comment nous allons plutôt passer à l’action dans ce domaine plutôt que de se coller à une vision passéiste de l’économie ?

Dans cette vieille vision, les agents économiques ciblent une réduction maximale des coûts qui se traduit par une diminution optimale des charges sociales et des obligations environnementales. C’est cette logique, poussée à bout, qui incite les entreprises à migrer vers des pays où les normes sociales et environnementales sont inexistantes ou embryonnaires. Et plutôt que de multiplier les embûches aux délocalisations d’entreprises, nos gouvernements plient systématiquement, refusant souvent d’exiger le remboursement des aides publiques et fiscales consenties par la société civile pour les consolider. C’est la même approche, à une autre échelle, qu’adoptent nos minières et certains promoteurs urbains ou nordiques qui profitent du laxisme de notre gestion environnementale pour créer une dette collective, dont on tait l’ampleur, sous forme de destruction d’habitats essentiels ou non restaurés, de pollution ou de contribution abusive, mais invisible, aux grands problèmes de la planète comme le réchauffement climatique.

Ce qui est inquiétant dans l’attitude de nos médias, c’est de constater qu’ils n’arrivent pas à dépasser la classique opposition entre économie et environnement.

Pourtant, c’est la commission royale d’enquête présidée par l’ancien ministre fédéral Donald S. Macdonald « sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada » qui recommandait en 1985, dans un rapport axé sur le libre-échange et la réduction des interventions de l’État, de renforcer sensiblement les règles et normes environnementales pour que cesse le pillage de ressources sans lesquelles l’avenir économique du Canada sera compromis à long terme. C’était deux ans avant le rapport Brundtland qui allait lancer le concept de développement durable.

Encore aujourd’hui, il n’est pas un média qui n’applaudira pas comme une réussite économique une hausse de la construction domiciliaire autour de nos grandes villes. Pourtant la science de l’économie, qui vise un peu plus large que les profits des entreprises, nous apprend depuis longtemps que vider une ville centre au profit des banlieues augmente la dette des services de ceux qui restent. Et ceux qui restent vont aussi devoir payer des taxes additionnelles pour payer les nouveaux services qu’il faudra offrir aux nouveaux banlieusards, comme l’eau, les égouts, les routes, les écoles, etc., sans parler de la dette environnementale invisible que représentent les pertes en milieux naturels et agricoles. Les gains réels se limitent ici généralement aux profits des promoteurs privés.

Il devrait être plutôt rassurant — et cela dans une perspective économique et pas seulement dans une perspective écologiste — de voir un gouvernement proposer une approche qui mise sur la protection des ressources et de la nature au profit de l’ensemble des acteurs économiques actuels et futurs. Quand certains dévastent des milieux naturels, il arrive que d’autres acteurs économiques y perdent, principalement ceux qui profitaient jusque-là de ces ressources dévastées ou qui les exploitaient parcimonieusement. Le discours sur les « omelettes qu’on ne fait pas sans casser d’oeufs » est beaucoup plus une excuse pour de mauvais comportements qu’une justification.

La question que politiques, économistes et médias devraient se poser devant l’accent que le gouvernement semble vouloir mettre vers un développement plus durable, c’est quelles sont ses chances d’y arriver.

Les difficultés seront multiples, et peut-être insurmontables dans certains cas. Les lobbys qui profitent de l’absence de règles en matière de milieux humides, par exemple, ont déjà eu la tête de Thomas Mulcair, alors titulaire de l’Environnement. La révision du Plan Nord et les modifications qui seront apportées par la ministre Ouellet — à qui on doit des analyses décapantes du projet de refonte de la Loi sur les mines — vont sans doute provoquer des vagues de fond chez les grands investisseurs et chez nos « lucides », pour qui l’économie verte est encore un irritant et non pas un potentiel.

On verra alors si le ministre Breton a pris ses rêves pour la réalité en déclarant que les verts étaient désormais au pouvoir…

Source: Le Devoir

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Je ne comprends pas pourquoi Le Devoir a cadenassé cette chronique de L.-G. Francoeur. 


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