« « Vu du Kremlin, la France n’a plus de politique étrangère… »
Plusieurs vidéos tournent actuellement en boucle sur Internet. L’une du général Wesley Clark, ancien patron de l’OTAN, l’autre de George Friedman, président de Stratfor, une société privée de renseignement basée au Texas et notoirement liée à la CIA. Le premier est bouleversé par le cynisme de la Maison-Blanche, l’autre le revendique fièrement. Difficile dans ces conditions de savoir quelle politique les États-Unis entendent mener en Europe…
Elle a pourtant le mérite de n’avoir jamais changé. Depuis 1945, l’objectif des États-Unis est de favoriser l’Europe-marché au détriment d’une Europe-puissance qui pourrait devenir leur rivale. À cela s’ajoute, depuis la dislocation du système soviétique, un autre objectif vital : empêcher l’Europe occidentale d’établir un partenariat avec la Russie. George Friedman l’a rappelé après Brzezinski : en tant que grande Puissance de la Mer, l’intérêt primordial des États-Unis est d’empêcher l’unification de la grande Puissance de la Terre, c’est-à-dire de l’ensemble géopolitique eurasiatique. Les USA contrôlent tous les océans du monde, ce qu’aucune puissance du monde n’avait fait avant eux (« Maintenir le contrôle de la mer et le contrôle de l’espace est la base de notre pouvoir »), mais ils n’ont pas la capacité d’occuper l’Eurasie. Ils doivent donc diviser pour régner.
Dans un premier temps, ils ont suscité en Europe de l’Est toute une série de « révolutions colorées » à la faveur desquelles ils ont tenté d’étendre l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Aujourd’hui, ils cherchent à créer un “cordon sanitaire” tourné contre Moscou, coupant l’Europe en deux depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. Ce projet de “zone-tampon” a le soutien des États baltes, de la Pologne, de l’Ukraine et de la Bulgarie, mais se heurte aux réticences ou à l’opposition de la Hongrie, de la Serbie et de l’Autriche. L’instrumentalisation du coup d’État intervenu à Kiev en février 2014 entre évidemment dans ce cadre, tout comme l’actuelle tentative albano-islamo-mafieuse de déstabilisation de la Macédoine, qui vise à mettre en échec le projet « Turkish Stream », déjà approuvé par le nouveau gouvernement grec, qui permettrait aux Russes d’acheminer leur gaz vers l’Europe occidentale sans avoir à passer par l’Ukraine.
C’est également dans cette optique qu’il faut situer le projet de Traité transatlantique, dont le but principal est de diluer la construction européenne dans un vaste ensemble inter-océanique sans aucun soubassement géopolitique, de faire de l’Europe de l’Ouest l’arrière-cour des États-Unis et d’enlever aux nations européennes la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par les élites financières américaines.
La grande inconnue, c’est l’Allemagne. La plus grande hantise des Américains est l’alliance de la technologie et du capital allemands avec la main-d’œuvre et les ressources naturelles russes. « Unies, dit Friedman, l’Allemagne et la Russie représentent la seule force qui pourrait nous menacer, et nous devons nous assurer que cela n’arrive pas ». Pour l’heure, l’Allemagne semble s’incliner devant les diktats de Washington. Mais qu’en sera-t-il demain ?
Au Proche-Orient, les choses se sont tellement compliquées depuis quelques mois que beaucoup de gens n’y comprennent plus rien. Là encore, quel est le jeu des Américains ?
Les États-Unis ont de longue date mis en œuvre au Proche-Orient une « stratégie du chaos », visant à abattre les régimes laïcs au bénéfice des mouvements islamistes, afin de démanteler des appareils étatico-militaires qu’ils ne pouvaient contrôler, puis à remodeler toute la région selon des plans arrêtés bien avant les attentats du 11 Septembre. L’État islamique (« Daesh ») a ainsi été créé par les Américains, dans le cadre de l’invasion de l’Irak, puis s’est retourné contre eux. Les USA ont alors commencé à se rapprocher de l’Iran, ce qui a suscité l’inquiétude des monarchies du Golfe qui redoutent par-dessus tout l’influence régionale de Téhéran (d’où l’opération actuellement menée au Yémen contre les rebelles chiites). On a donc aujourd’hui trois guerres en une seule : une guerre suicidaire contre la Syrie, dans laquelle les Occidentaux sont les alliés de fait des djihadistes, une guerre des Américains contre l’État islamique, et une guerre des dictatures du Golfe et de la Turquie contre l’axe Beyrouth-Damas-Téhéran-, avec la Russie en arrière-plan.
Et la France, dans tout ça ?
Elle ne compte plus pour grand-chose. Elle se réclame de la laïcité, mais privilégie ses relations avec les pétromonarchies les plus obscurantistes. Concernant les migrants qui affluent par milliers depuis la Méditerranée – fuyant, non pas la misère ou la dictature, comme on le répète ici et là, mais la guerre civile et le chaos que les Occidentaux ont apportés chez eux –, elle se soucie plus de les empêcher de se noyer que de ne pas faire naufrage elle-même, plus de la façon de les accueillir que de les empêcher d’entrer. Les Allemands la regardent désormais de haut, les Espagnols et les Italiens n’en attendent plus rien, et les Anglais continuent à considérer le French bashing comme un sport national.
Quant au Kremlin, il ne se fait plus d’illusions : la France ne peut plus avoir de politique étrangère digne de ce nom, puisqu’elle s’est aujourd’hui couchée devant les Américains. En témoignent de manière éloquente le refus de la France de livrer aux Russes les navires « Mistral » que ceux-ci avaient déjà payés, et le scandaleux boycott des cérémonies qui se sont déroulées à Moscou pour le 70e anniversaire de la défaite du Troisième Reich. De ce point de vue, la continuité de Sarkozy à Hollande est parfaite. L’UMP va devenir « les Républicains », tandis que le PS n’est déjà plus qu’un « parti démocrate » à l’américaine. Il n’y a plus qu’à rebaptiser « Maison blanche » le palais de l’Elysée, et tout sera parfaitement clair !
Boulevard Voltaire
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