Il y a 30 ans aujourd'hui, le Canada adoptait officiellement sa
Constitution contre la volonté du Québec. Ce geste très grave a plongé
le Québec dans ce que Réjean Ducharme me permettra d'appeler un hiver de
force constitutionnel. En plus de l'affront fait à tout un peuple, ce
coup d'État qui limite les capacités du Québec a des conséquences
négatives très concrètes.
Pourtant, les fédéralistes québécois semblent avoir renoncé à
corriger cette anomalie, trahissant leur propre idéal et, du coup, plus
de 400 ans d'histoire de la nation québécoise.
En 1963, en pleine Révolution tranquille, lors de son investiture à
titre de candidat du Parti libéral du Canada, Jean Chrétien s'engageait
solennellement à oeuvrer pour changer la Constitution, pas entre dix
provinces, mais entre deux peuples. Dix-sept ans plus tard, Pierre
Elliott Trudeau promettait solennellement, lui aussi, devant 10 000
témoins, de renouveler le fédéralisme: «Si la réponse à la question
référendaire est non, nous avons tous dit que ce non sera interprété
comme un mandat pour changer la Constitution, pour renouveler le
fédéralisme. [...] Un non, ça veut dire du changement. Nous mettons
notre tête en jeu [...]. Nous mettons nos sièges en jeu pour avoir du
changement.»
Et pourtant, moins de deux ans après cette promesse solennelle, la Loi
constitutionnelle de 1982 entrait en vigueur à l'encontre de la volonté
de l'Assemblée nationale du Québec. Le Canada nous a imposé une
Constitution qui a eu pour effet d'enlever au peuple québécois des
pouvoirs essentiels en matière de langue et d'éducation, de s'attaquer
de plein fouet à la loi 101 et de lui imposer le multiculturalisme à la
canadienne. Une réforme aux antipodes des revendications traditionnelles
du Québec et de la promesse qu'on lui avait faite. Une trahison, en
somme.
Démocratie verrouillée
Les tentatives d'en arriver à un accord honorable permettant au Québec
d'effacer les cicatrices de 1982 se sont soldées par des échecs. Le
naufrage de l'accord du lac Meech, avec ses cinq petites conditions
minimales, ou encore celui de l'accord de Charlottetown, rejeté à la
fois au Québec et dans le Canada pour des motifs diamétralement opposés,
ne sont maintenant que des souvenirs lointains, vieux d'une vingtaine
d'années.
On aurait pu croire que le résultat serré du référendum de 1995
ouvrirait les yeux du Canada et placerait les fédéralistes québécois en
position de force pour obtenir des conditions satisfaisantes. Eh bien
non. L'État canadien a plutôt cherché à verrouiller la démocratie
québécoise avec la loi C-20 et à endoctriner les Québécois avec un
déferlement de propagandes mises au jour par le scandale des
commandites.
Depuis, les fédéralistes québécois ont baissé pavillon. Certains, comme
Benoit Pelletier, espèrent sincèrement qu'un miracle surgira et les
autres, cyniques comme Jean Charest, misent sur la lassitude populaire
et se contentent de réformettes administratives, de rhétoriques
préélectorales ou de motions symboliques sans réelle portée.
Depuis l'élection majoritaire du gouvernement Harper, le Québec n'a plus
aucun rapport de force et subit, impuissant, des décisions qui vont à
l'encontre de ses intérêts fondamentaux. Nous en sommes réduits à placer
notre sort entre les mains de juges nommés par l'État canadien.
«Le fruit n'est pas mûr»
Avec Trudeau, le Québec sera passé de peuple fondateur du Canada à
province comme les autres, puis de deuxième classe, l'adhésion du Québec
à la Constitution canadienne n'étant même plus considérée comme
nécessaire ni même comme une anomalie par les Canadiens. L'Ontario exclu
de la Constitution, c'est inimaginable. Dans le cas du Québec, le
Canada s'en fout. Et si certains s'imaginent que le NPD y changera
quelque chose, qu'ils demandent à Thomas Mulcair s'il a l'intention
d'inscrire l'existence de la nation québécoise dans la Constitution
canadienne.
C'est le drame des fédéralistes québécois. Plutôt que de dire la vérité,
ils proposent des moratoires de dix ans ou évitent soigneusement le
sujet. Ils répètent sans relâche que le débat constitutionnel est
dépassé, comme si les règles constitutionnelles n'étaient pas au coeur
du fonctionnement quotidien de notre société.
Cinquante ans plus tard, que reste-t-il des deux peuples fondateurs, du
Maîtres chez nous de Jean Lesage et de l'Égalité ou indépendance de
Daniel Johnson? Que reste-t-il de fierté chez les fédéralistes
québécois? Jean Charest et son Parti libéral ne réclament plus rien,
répétant comme un mantra que «le fruit n'est pas mûr». Le fruit a depuis
longtemps pourri dans l'arbre. Et le Parti libéral est passé de la
Révolution tranquille à la trahison tranquille de nos aspirations
nationales.
Vision d'avenir
À la veille des prochaines élections, les partis fédéralistes ne
proposent absolument rien pour sortir le Québec de l'impasse. François
Legault se contente d'un moratoire de dix ans, abandonnant d'avance tout
rapport de force devant Ottawa. Jean Charest va ressortir sa vieille
cassette accusant le Parti québécois de vouloir tenir un référendum sur
la souveraineté du Québec, croyant nous mettre sur la défensive et
réussir ainsi à esquiver un débat fondamental pour l'avenir du Québec.
Le chef libéral se trompe.
Nous sommes aujourd'hui fermement convaincus que le plus grand risque
pour le Québec, ce n'est plus la souveraineté, mais bien de demeurer au
sein de ce Canada qui ignore de plus en plus notre histoire et notre
existence comme peuple. Nous sommes fiers de proposer une vision
d'avenir aux Québécois. Oui, nous voulons faire du Québec un pays.
Pendant que les fédéralistes offriront encore d'autres illusoires
promesses de réformes, nous offrirons aux Québécois de clore le débat
une fois pour toutes et de sortir de cet hiver de force en redonnant au
Québec tous les pouvoirs. Nous proposerons aux Québécois de choisir
entre le Canada et le pays du Québec.
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Pauline Marois - Chef du Parti québécois