« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


vendredi 1 août 2014

Glissons-nous vers la «démocrature»?

Photo Clément Allard (La Presse canadienne

Lise Payette
Le Devoir

Je dédie cette chronique à la mémoire de Félix Leclerc, qui aurait eu 100 ans demain, le 2 août, en souvenir de son Alouette en colère.

La démocrature… Le mot est assez étrange. Il serait issu de l’union de « démocratie » et de « dictature », parce que, mine de rien, plein de pays dans le monde sont aux prises avec des chefs d’État qui jouent des deux instruments à la fois pour tenir leur peuple dans la soumission, la peur et l’ignorance, lesquelles sont les ingrédients essentiels pour assurer leur pouvoir. Comment font-ils ? La recette est facile.

Les démocrateurs tiennent des élections dites libres, histoire d’avoir l’air d’être en règle et surtout parfaitement démocrates. Ils s’assurent toujours de les gagner, qu’importent les moyens. C’est essentiel pour être reconnu à l’international. Ils sont tous devenus maîtres des « spéciaux clés en main ». Une fois que les bulletins de vote ont été comptés en leur faveur, ils assurent une dictature mur à mur, basée le plus souvent sur les mauvais traitements et la misère du peuple. Les dictateurs élus s’assurent d’être irremplaçables, mais ils préparent la relève, souvent dans la famille immédiate, histoire de mettre au monde une dynastie qui régnera pendant des siècles et des siècles. Du moins, l’espèrent-ils.

Les pays qui s’identifient comme démocrates sont nombreux. On n’y insiste pas trop sur la partie « dictature ». Le pourquoi est assez évident. Parmi ces pays qui se gargarisent du mot « démocratie », il y en a des très grands et très populeux et des très petits, dont tous les dirigeants sont habituellement infiniment riches. Ils ont l’habitude de faire à leur tête, quel que soit l’effet de leurs décisions sur le bon peuple, qui attend la prochaine élection pour leur apporter la délivrance. Déjà, vous avez quelques noms qui vous viennent à l’esprit. Vous pourriez même faire une liste.

Bien sûr, je ne parle pas du Canada, ce « plus meilleur pays du monde ». Quoique, depuis l’arrivée de Stephen Harper au pouvoir, on sent bien son gouvernement glisser doucement vers autre chose que la démocratie à laquelle nous serions en droit de nous attendre. Il nous aura fallu toutes ces années de pouvoir conservateur pour se rendre compte à quel point le Québec n’a rien en commun avec ces dirigeants qui ont l’air de venir d’une autre planète, tellement leurs décisions nous paraissent étrangères.

Stephen Harper mène sa barque comme un dictateur. M. Harper et son gouvernement majoritaire n’en font qu’à leur tête. Ils nous imposent des lois qui sont loin de répondre aux attentes que nous avons, car il a doucement supprimé des valeurs qui nous étaient essentielles, sans même se soucier des réactions négatives qui pouvaient en découler.

Des exemples ? Les armes à feu. Ça vous dit quelque chose ? Tout ce combat mené par les femmes de ce pays après les meurtres de l’École polytechnique, dans l’espoir de voir cesser la violence criminelle envers les femmes. Tout ce travail des femmes vient d’être mis à la poubelle. M. Harper a choisi de donner satisfaction au lobby des armes à feu plutôt que d’honorer la parole d’autres premiers ministres avant lui.

Il n’attaque pas de front mais le fait sournoisement en passant par-dessus toutes les ententes qui accordent un peu de pouvoir aux provinces dans tous les dossiers. C’est le cas pour le pont Champlain, pour la centralisation des marchés boursiers, pour son envie de se donner plus de pouvoir sur le système de santé, sur l’éducation et sur la Cour suprême. Il étire son sens de l’éthique au maximum par ses nominations au Sénat, par son étonnante sélection de juges à la Cour suprême, par ses déclarations incendiaires au sujet des conflits qui sévissent dans le monde. Il aime les guerres et les armements de guerre. Il ne s’en cache même pas.

Il y a quelques jours, en plus, nous avons appris qu’il avait récupéré un prix hommage, destiné à des bénévoles qui le méritent et qui portait le nom de Mme Thérèse Casgrain. Ce prix, depuis 2010, s’appelle le Prix du premier ministre. Quelle mesquinerie. Thérèse Casgrain a été une inspiration pour beaucoup de femmes québécoises et canadiennes. Chef du NPD Québec, elle a été la première femme à occuper un tel poste. Thérèse Casgrain aura toujours droit à notre admiration et à notre reconnaissance pour sa longue lutte pour les droits des femmes. Quel mépris de la part d’un premier ministre. Quel manque de respect. Stephen Harper devra faire face à des élections en 2015. Peut-être pensez-vous qu’il est temps de cesser de rigoler ? Il faut y penser dès maintenant, car le choix sera difficile. Le menu de candidatures sera assez limité. Vous allez voter pour qui ? Parce que voter n’importe comment, c’est jouer avec le feu. La démocrature est si vite arrivée.

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