Lysiane Gagnon
19 avril 2015
La Presse
Où s'arrêtera l'obsession ukrainienne du gouvernement Harper? Le
voici maintenant qui envoie 200 militaires pour «conseiller» Kiev dans sa
«guéguerre» avec la Russie, au moment même où la fragile trêve qui devait
mettre un terme aux hostilités semble compromise.
Qu'est-ce au juste que le Canada a à faire au coeur de
l'Europe, dans un conflit où il n'a aucun intérêt national - conflit qui, si
les choses sont menées à la hussarde, pourrait embraser le Vieux Continent?
La folie humaine, hélas, n'a pas de limite. Rappelons-nous
comment la Première Guerre mondiale a commencé: un attentat individuel sans
grande importance a engendré une escalade meurtrière qui a précipité le monde
dans une boucherie qui a duré quatre ans.
La présence de 200 soldats canadiens à plus d'un millier de
kilomètres de la zone de combat ne changera pas grand-chose, militairement
parlant. Déjà, 800 Américains et 75 Britanniques sont sur le terrain. Mais cela
sera vu par Moscou comme une provocation de plus, après que l'OTAN eût avancé
ses bases de missiles sans motifs valables jusque dans les républiques baltes,
à deux pas de la frontière russe, et que l'Union européenne eût accepté, bien
trop légèrement, le principe d'un partenariat économique avec un pays qui avait
toujours fait partie de l'orbite de la Russie.
C'est en réponse à ces provocations que Vladimir Poutine a
récupéré la Crimée, territoire qui avait appartenu à la Russie jusqu'en 1954,
alors que Krouchtchev, un jour de grande beuverie dit-on, l'avait cédé à
l'Ukraine en y maintenant ses bases militaires. Depuis, la Russie encourage en
sous-main les rebelles prorusses qui veulent rattacher l'est russophone de
l'Ukraine à la Russie.
L'intervention intempestive du lointain Canada ne fait que jeter
un peu plus d'huile sur le feu.
L'ancien ministre des Affaires étrangères, John Baird, avait
ouvert le bal en décembre 2013 en participant, contre toutes les règles
diplomatiques, à une manifestation hostile au gouvernement russophile alors en
place à Kiev.
Au G20 de novembre dernier, fidèle à l'approche brutale et
carrée qui caractérise ses rapports avec l'étranger, M. Harper a harponné le
président Poutine sur le ton d'un petit bully de cour d'école
en lui disant «Get out of Ukraine!»
La Maison-Blanche, la France et l'Allemagne font preuve d'une
certaine retenue. L'Europe a sagement refusé d'accorder à ce pays mal géré et
corrompu la carte d'entrée dans l'UE que convoitaient les autorités de Kiev. M.
Harper, quant à lui, est sur la longueur d'onde des républicains américains,
grands partisans d'une intervention musclée en Ukraine.
Certains hauts fonctionnaires canadiens à l'étranger se sont
même fait suggérer par Ottawa de quitter toute réunion où siègerait un
représentant de la Russie!
Aux premières loges, le puissant lobby canado-ukrainien
applaudit. Les milliers de citoyens d'origine ukrainienne, et plus généralement
ceux dont les ancêtres ont souffert dans l'ancienne URSS, forment un électorat
que les conservateurs n'ont cessé de courtiser (comme d'ailleurs les libéraux
avant eux).
Le racolage électoral avait commencé par ce projet absurde d'un
monument aux «victimes du communisme» en plein coeur de la capitale fédérale, à
deux pas de la Cour suprême.
Certes, le communisme a fait d'innombrables victimes, en Europe,
en Chine ou au Viêtnam. Mais pourquoi un monument, ici et aujourd'hui, alors
que les communistes sont partout en voie d'extinction? Peut-être dans le but
mesquin que ce gros bâtiment écrase de son ombre massive l'édifice délicat de
la Cour suprême, l'ennemi numéro un du gouvernement Harper? Mais c'est surtout,
bien évidemment, pour accommoder un électorat avide d'en découdre avec la
Russie.
L'électoralisme est un phénomène normal en politique. Mais
l'obsession ukrainienne de Stephen Harper est un petit jeu dangereux. C'est à
lui qu'on aurait envie de dire: «Get out of Ukraine, Mister Harper!»
Source: Le Devoir
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