« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


vendredi 10 janvier 2014

Pourquoi Dieudonné?



Christian Rioux

Paris — Qui aurait dit que 2014 commencerait ainsi ? Cela fait une semaine que tous les bulletins d’information s’ouvrent sur l’image d’un comique barbu que les Français n’avaient plus vu à la télévision depuis des années. Pour avoir de ses nouvelles, il fallait visionner des extraits de vidéos sur Internet ou fréquenter le minuscule théâtre de la Main d’or à Paris. Or, depuis que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a lancé son offensive tous azimuts, sa photo a fait le tour du monde. Jeudi, la presse internationale se pressait au palais de justice de Nantes où les tribunaux lui ont finalement donné raison, avant que le Conseil constitutionnel n’interdise à nouveau le spectacle. Le provocateur professionnel qu’est Dieudonné n’en espérait pas tant.

Lorsqu’il est apparu dans les années 1990, Dieudonné se voulait le représentant d’une parole décomplexée à l’égard du racisme et des difficultés de la vie des banlieues. Il riait des Juifs autant que des Arabes ou des Chinois. Je me souviens de l’avoir vu à Montréal avec son compagnon d’alors, Élie Semoun. Leur verbe rafraîchissant n’était pas feint. À partir du sketch où il personnifia un colon israélien hurlant « Isra Heil ! » (2003), Dieudonné a progressivement dérapé. Non seulement ne s’est-il pas excusé, mais il en a remis une couche. De la critique d’Israël, parfaitement légitime, il est passé à celle du sionisme puis des Juifs, qu’il associe chaque fois à l’argent et dont il voit la main invisible partout. Triste parcours d’un comédien doué enfermé dans le déni.

Au Québec, nous avons été longs à comprendre. Souvenons-nous de ses entrevues complaisantes, en 2005, avec Guy A. Lepage et Stéphan Bureau. Dès 2002, l’animateur Thierry Ardisson, lui, n’avait pourtant pas craint de demander à son ami pourquoi il prétendait que l’antisémitisme n’existait pas. En 2004, il lui faisait même subir un interrogatoire en règle. Une interview modèle que les animateurs de talk-show québécois et même quelques journalistes devraient se repasser en boucle. Au lieu de se brouiller avec un ami, la télévision québécoise a préféré peindre l’humoriste en martyr persécuté par la France.

Pourtant, à moins de défendre la thèse d’une France intrinsèquement pétainiste, le racisme n’est pas plus présent en France que dans les pays comparables. Je dis comparables, car il serait erroné de comparer la France, qui accueille essentiellement une immigration pauvre, à un pays comme le Canada qui n’accepte que les immigrants jeunes, instruits ou riches. Compte tenu de ces différences, la France n’est pas un endroit où le racisme est endémique. C’est même un pays où les mariages mixtes sont légion, signe de mixité sociale s’il en est un. Terre d’accueil des principales populations musulmanes et juives d’Europe, la France subit cependant durement les contrecoups de la guerre sans merci qui oppose les partisans d’Israël au monde arabo-musulman. Notons que la croissance récente des gestes racistes en France concerne d’abord des actes antisémites et secondairement contre des musulmans.

Comme beaucoup d’humoristes, Dieudonné table plus généralement sur le rejet des institutions et du monde politique. Il ne faut pourtant pas exagérer sa popularité. Il y a une semaine, pour l’immense majorité des Français, la « quenelle » n’était rien d’autre qu’une spécialité gastronomique lyonnaise au goût un peu fade.

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Quelle mouche a donc piqué Manuel Valls pour faire interdire ses spectacles en dépit de toute la jurisprudence ? Dieudonné n’est plus un artiste, prétend le ministre. La belle affaire ! On n’a jamais interdit les assemblées de Jean-Marie Le Pen, pourtant condamné pour propos antisémites et négation de crime contre l’humanité.

L’explication est peut-être ailleurs. À l’approche d’élections municipales et européennes qui s’annoncent catastrophiques, les socialistes n’ont eu de cesse de monter en épingle chaque petit incident raciste ou extrémiste. Alors que la croissance se fait attendre, François Hollande n’a pas le choix de donner quelques os à ronger à sa gauche. Il n’avait pas fallu 24 heures à Manuel Valls pour monter au créneau lorsque, le 6 juin dernier, le militant d’extrême gauche Clément Méric était décédé dans des circonstances nébuleuses après une altercation avec un militant d’extrême droite. En novembre, le premier secrétaire du Parti socialiste Harlem Désir avait aussi poussé de hauts cris en déterrant une vidéo passée inaperçue sur Internet où deux enfants brandissaient une pelure de banane sur le passage de la ministre Christiane Taubira. Des semaines plus tard, on ne connaît toujours pas l’identité de ces enfants, leurs motivations et s’ils ont été instrumentalisés par des manifestants contre le mariage gai.

Ces incidents n’ont pas été inventés, mais ils seraient demeurés isolés n’eût été l’intention de certains socialistes de poser en seuls gardiens de la démocratie face à la montée d’une extrême droite providentielle. Il s’agit de ressusciter la vieille stratégie, d’ailleurs payante, utilisée à l’époque par François Mitterrand contre le Front national. Quitte à créer un climat délétère et à faire la publicité d’un comique qui faisait pourtant de moins en moins rire.

Source: Le Devoir

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