« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


mercredi 29 octobre 2014

Les autruches



Jacques Lanctôt
fr.canoe.ca

Il faut avoir un certain culot ou avoir la mémoire courte, voire aucune mémoire, pour affirmer comme l’a fait le chroniqueur de La Presse Pierre-Yves McSween, que « le Parti québécois joue à l’autruche en tentant de marginaliser la réflexion de Jean-François Lisée ». Plus loin, il affirme, comme pour prouver le conflit d’intérêt qu’il pourrait y avoir : « D’ailleurs, le jour de l’annonce du financement public de l’amphithéâtre, un journaliste de Québecor me disait « on ne crache pas sur la main qui nous nourrit ».

À la rigueur, je pourrais qualifier cela de ragot de salle de rédaction et m’inventer, moi aussi, un journaliste de Gesca qui m’aurait affirmé la même chose, à l’occasion de commenter la parution du livre de Robin Philpot, Derrière l’État Desmarais : Power, paru une première fois en 2008 puis réédité dernièrement et qu’il venait de recevoir en service de presse. « On ne crache pas sur la main qui nous nourrit. »

Mais pourquoi inventer des faits quand ils existent réellement. Il y a vingt ans, en février 1994, le chroniqueur de La Presse, André Pratte, avait été démis de ses fonctions à la suite d’une chronique, Tout est pourri, qu’il avait publiée dans le journal où il travaillait et dans lequel il mettait en cause son patron, Power Corporation, le propriétaire de La Presse.

Étant donné les liens qui unissaient le père de Pratte à Paul Desmarais - il a siégé aux conseils d’administration de Power corp. et de la Financière Power -, sa suspension avait été vite levée et le chroniqueur avait pu réintégrer son poste quelques jours plus tard. Même le syndicat des journalistes de La Presse avait dénoncé cette mesure et crié à l’ingérence et à la censure. Monsieur McSween joue-t-il à l’autruche en faisant mine d’oublier cette épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus de la tête des journalistes de La Presse ?

Mais il y a plus, et le chroniqueur du Devoir, Michel David, semble, lui aussi, victime d’un profond trou de mémoire. Dans une chronique récente, David accuse le Parti québécois de jouer à l’autruche et d’être aveuglé par la possibilité de voir un candidat comme PKP accéder à la direction du PQ et de redonner vie à l’idée d’indépendance. Et il se questionne béatement : « Si un des frères Desmarais envisageait de devenir chef du PLQ sans se départir de ses intérêts dans Power Corporation, ils [les péquistes] se déchaîneraient ».

Est-il besoin de rappeler que l’actionnaire de contrôle de La Presse, la famille Desmarais, qui a passé des ententes secrètes avec Radio-Canada (jamais dévoilées malgré l’insistance de Québecor pour qu’elles soient rendues publiques), n’a pas besoin de se présenter à la direction du PLQ pour le diriger et imposer ses volontés. Elle tire les ficelles dans les coulisses, sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit, et encore moins à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Cela est largement documenté dans plusieurs ouvrages ou de nombreuses publications. Il suffit de taper Power ou Desmarais sur Google pour s’en rendre compte.

Paul Desmarais a déjà admis qu’il avait pris le contrôle de La Presse pour empêcher l’indépendance du Québec et bloquer la gauche et les syndicats qui contrôleraient le PQ, selon lui. Il a aussi avoué qu’il ne pouvait se permettre de le faire avec Le Devoir, qui était malheureusement contrôlé par une fondation et qui était un repère de gauchistes et de séparatistes. Un ambassadeur des États-Unis au Canada, David Jacobson, a même admis que l’influence de Power Corporation sur les milieux politiques québécois et fédéral est indéniable.

Le clan Desmarais a étendu son influence jusqu’en France, en prenant en charge Nicolas Sarkozy, alors président de la France, pour qu’il supprime tout appui à un éventuel Québec indépendant. C’est à cause de Desmarais que la France, du temps de Sarkozy, a abandonné la politique traditionnelle de « ni ingérence ni indifférence ».

Voici ce que disait le journaliste Alec Castonguay de Paul Desmarais dans L’actualité du 9 octobre 2013 : « Qu’il le fasse pour lui, pour son entreprise, ou pour ce qu’il juge être « le bien du pays », Paul Desmarais avait une influence politique certaine. Il pouvait passer un coup de fil à un premier ministre ou un ministre sans difficulté.

Rares sont les citoyens qui ont cet accès pour se faire entendre et exprimer leur point de vue. » Qu’est-ce qu’on attend pour alerter le commissaire à l’éthique afin qu’il ouvre une enquête en profondeur sur le PLQ et ses dirigeants ? Le commissaire à l’éthique jouerait-il, lui aussi, à l’autruche ?

Source: fr.canoe.ca  via Vigile.net

vendredi 24 octobre 2014

La démocratie canadienne pourrait devenir une illusion


GLENN GREENWALD AU DEVOIR

Photo: Annik MH De Carufel Le DevoirLe journaliste américain Glenn Greenwald

Les « loups solitaires », ces tueurs isolés qui ont déversé leur haine, cette semaine, à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa, n’ont pas seulement fait trembler la démocratie canadienne. Ils ont également mis en lumière l’inefficacité de la surveillance massive des citoyens par les agences gouvernementales du Canada qui, en tenant désormais pour suspect potentiel tout le monde, sans distinction, finissent par ne plus pouvoir détecter convenablement les véritables éléments à risque, estime le journaliste américain Glenn Greenwald.

« Le Canada doit mettre fin à ses programmes de surveillance de masse de ses citoyens pour se concentrer sur les menaces réelles », a indiqué jeudi matin lors d’une entrevue accordée au Devoir l’homme par qui les révélations-chocs de l’ex-analyste de la National Security Agency (NSA), Edward Snowden, sont passées. Glenn Greenwald est à Montréal cette semaine à l’invitation de l’Université McGill où, jeudi soir, il a décrypté les dérives liberticides dans nos sociétés à l’ère de la peur et de la socialisation en format numérique dans le cadre de la Conférence annuelle Beaverbrook 2014. « La surveillance de masse, telle que menée actuellement par les États-Unis et ses alliés, dont le Canada fait partie, nuit désormais à la capacité des gouvernements à détecter clairement les citoyens à risque. Et nous venons, encore une fois et tristement, d’en avoir deux nouvelles preuves au Canada cette semaine. »

Fin observateur de l’avènement des États de surveillance, à l’ère du tout numérique, Glenn Greenwald pose un regard sévère sur le Canada et son gouvernement actuel qui, selon lui, méthodiquement, est en train d’attiser un climat de peur pour mieux y opposer des mesures et des politiques qui menacent à court terme les fondements de la démocratie canadienne. « L’idée d’une collecte massive d’information sur les citoyens, sans limites et sans tenir compte de la présomption d’innocence, n’est pas un concept uniquement américain, dit-il. C’est une idée qui vient surtout du projet Five Eyes [cette alliance internationale d’espions dont le Canada fait partie, avec les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande], dans lequel Ottawa est très actif. C’est aussi une chose fondamentalement illégitime. »

Documents secrets

Les documents secrets d’Edward Snowden qui exposent les grandes et petites lignes des programmes de surveillance PRISM ou XKeyscore, et que Greenwald a contribué à répandre dans l’espace public, entre mai et octobre 2013, alors qu’il bossait pour le quotidien britannique The Guardian, en font d’ailleurs à plusieurs endroits la démonstration, selon lui. Comment ? En indiquant que tous ces programmes de contrôle et de surveillance des communications et de la socialisation en format numérique ont été implantés dans les dernières années aux États-Unis, tout comme au Canada, loin des instances démocratiques qui, avant les révélations de Snowden, n’en avaient finalement pas conscience.

« Dans un de ces documents, un haut dirigeant de la NSA, responsable des relations avec les pays partenaires des États-Unis, explique d’ailleurs pourquoi le changement d’orientations politiques dans plusieurs pays, au terme d’élections générales depuis le milieu des années 2000, n’a finalement rien changé dans les liens entre la NSA et les agences de surveillance de ces mêmes pays. » Et la réponse est simple : le gouvernement du Canada peut être libéral ou conservateur, « le partenariat reste le même, parce que, en dehors des instances militaires et sécuritaire, personne d’autre au pays ne sait que ces liens existent », poursuit le journaliste.

« C’est la dimension qui me semble d’ailleurs la plus incroyable, dit Glenn Greenwald, qui soupçonne au passage les grandes entreprises de communication au Canada de nourrir ces programmes de surveillance, comme leurs homologues américaines. En matière de sécurité et de surveillance, les représentants du peuple, les instances démocratiques n’ont finalement aucune idée de ce qui se passe. Ces programmes ont été implantés sans possibilité de regard. Ils existent de manière isolée loin des responsabilités démocratiques. Et dans ce contexte, la démocratie finit par ne devenir qu’une illusion », conclut-il.

vendredi 3 octobre 2014

Les cowboys de la politique




Lise Payette
Le Devoir 

Ils parlent haut et fort, convaincus de détenir la vérité en tout. S’ils ont des doutes, ils ne les expriment jamais car ça pourrait avoir l’air d’être un aveu de faiblesse. La peur, sous toutes ses formes, est une alliée précieuse qui fait augmenter le thermomètre du stress vécu par des citoyens qu’il vaut mieux garder dans le désespoir que dans la joie. Écraser pour régner est une devise qui a fait ses preuves à travers le temps.

Ma question ce matin est « combien de stress des citoyens normaux peuvent-ils endurer avant de perdre la tête » ? Si on fait un petit tour de la planète en ce moment, on constate assez rapidement que ça éclate partout. Vous avez l’embarras du choix. Il y a quelques semaines à peine, les yeux du monde entier étaient tournés vers le sort qu’Israël faisait vivre à Gaza, semant la mort et la destruction massive sans que quelque autorité intervienne pour mettre fin à cette haine insensée qui n’a pas de fin.

Puis, le ton a soudainement monté du côté de l’Ukraine et les accusations portées contre la Russie dans ce dossier étaient assez graves pour alerter le monde entier. Le conflit est-il réglé ? C’est peu probable, et il a peut-être bien tout ce qu’il faut pour se rallumer d’un seul coup.

Comment est-ce seulement possible que l’extrême droite française, qui n’offre pourtant pas un comportement dont la France peut se glorifier, arrive à se frayer un chemin chez les électeurs et électrices ? La France est-elle tellement sous le stress devant les chiffres du chômage, devant l’avenir bloqué pour ses étudiants désespérés d’accéder un jour à une vie pleine et entière, qu’elle se jette dans les bras des apôtres de l’extrême droite, oubliant un passé pourtant porteur de bons conseils à ce sujet ? 

Les chiffres avancés sur les ravages de l’Ebola en Afrique font peur aussi. L’incapacité du monde entier de répondre rapidement aux besoins des peuples touchés est un désastre collectif. Devant l’évidence qu’il sera impossible de tout faire, comment partager les ressources disponibles avec justice ? Imaginez le stress de ces citoyens qui attendent une aide internationale qui n’arrive pas alors que la maladie continue ses ravages dévastateurs.

Comment partager adéquatement les ressources disponibles pour sauver l’Afrique d’une part et détruire les tueurs qu’on a nommés « État islamique » qui sèment la terreur en Irak et en Syrie, qui coupent la tête d’autres humains devant les caméras dans l’espoir de faire avancer leur cause grâce à la peur ?

Les citoyens de Hong Kong sont dans la rue pour réclamer que la démocratie à laquelle ils aspirent leur soit rendue par le gouvernement de Beijing. Ils sont nombreux et les Chinois ont la réputation d’être tenaces. Ils ont déjà tout vu, tout retenu, et ils ont une mémoire fabuleuse de leur propre Histoire. Juste à côté, les Japonais vivent la terreur des secousses sismiques, des éruptions de volcans, des tsunamis et des dangers que représentent encore les déversements des eaux des réservoirs des usines atomiques touchées par le dernier tsunami. 

Je n’ajouterai rien au sujet du Canada. Les Canadiens que je connais n’ont pas mérité le gouvernement qui sévit à Ottawa. Comme le Québec n’a pas mérité M. Denis Lebel non plus.

Vous aurez compris que je crois sincèrement que la politique des cowboys, où qu’elle se pratique dans le monde, est une politique dangereuse. De là ma question avec des mots plus simples : « combien de stress un être humain peut-il supporter avant de péter les plombs » ?

Au Québec, les puissants cowboys, au pouvoir depuis six mois dans quelques jours, ont volontairement fait monter le stress de la population. Entre le « serrez-vous la ceinture » et le « ça va faire mal » qu’on nous répète ad nauseam depuis des mois, je sens la moutarde qui monte au nez des citoyens qui commencent à se dire qu’ils n’ont jamais voté pour ça.

Les manifs sont commencées. Il y en aura d’autres. La commission Charbonneau déçoit, car elle donne l’impression de se terminer en queue de poisson et finit par semer le doute sur le fait qu’il pourrait y avoir des intouchables au pays du Québec et des « au-dessus de toutes les lois » comme si cela allait de soi. C’est un climat favorable pour la mauvaise humeur.

M. Couillard répète à qui veut l’entendre que « tout est sur la table ». Tout quoi ? Tout ce qu’on a gagné de peine et de misère ? Tout ce qui a été mis dans la poche de tellement de monde qu’on ne connaît toujours pas ? Tout l’argent des paradis fiscaux ou seulement celui du monde ordinaire qui voudrait bien joindre les deux bouts de temps en temps ? Nous avons passé l’âge d’avoir peur du Bonhomme Sept Heures.