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Lise Payette |
Je chronique maintenant depuis 10 ans et je sens le besoin de remettre
les pendules à l’heure par rapport à mes prises de position. Il me
paraît important de dire aux lecteurs et lectrices qui me font l’honneur
de me lire fidèlement où j’en suis dans mes propres engagements et mes
propres convictions, histoire qu’il soit bien clair où je me situe.
On m’a écrit pour me dire que si je déteste tant Jean Charest, c’est
parce que je suis péquiste. C’est une erreur. Je ne connais pas Jean
Charest. Je ne l’ai jamais rencontré. Je ne lui ai jamais serré la main.
Nous ne fréquentons pas le même monde, ce qui fait que je ne l’ai même
jamais vu en personne. Celui que je supporte mal, c’est le premier
ministre du Québec qui sévit à ce poste depuis neuf ans et qui est tout
ce que je déteste chez un politicien : mauvais joueur, prétentieux,
méprisant, arrogant, et n’hésitant pas à écraser tout ce qui bouge
autour de lui pour se maintenir au sommet. Le tort qu’il a fait au
Québec est immense et il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour
remettre ce pays sur les rails.
J’ai été officiellement péquiste pendant quatre ans et demi, les années
où j’ai été ministre. On m’a remis une carte de membre quand on s’est
rendu compte que je n’en avais pas lors de la conférence de presse
destinée à annoncer ma candidature, en 1976. Quand j’ai annoncé en 1981
que je ne serais pas candidate une deuxième fois, j’ai rendu ma carte de
membre. Je n’ai plus été membre d’un parti politique depuis 1981 et
jusqu’à ce jour, c’est toujours le cas. 31 ans plus tard, je n’ai aucune
attache politique. Je suis une citoyenne engagée dans la vie
démocratique du Québec, mais je n’ai pas d’appartenance politique.
J’estime que je peux donc parler librement de tous les partis politiques
sans exception.
On m’accuse de soutenir Pauline Marois. Madame Marois a été la
directrice de mon cabinet quand je suis devenue ministre d’État à la
Condition féminine, soit la dernière année de mon mandat. J’ai pu
constater son goût du travail bien fait, son sens de l’organisation et
ses capacités à regrouper des individus venus de tous les horizons en
évitant les heurts et en recherchant constamment le meilleur de chacun.
Nous sommes allées à Copenhague ensemble pour assister à la mi-temps de
la décennie des femmes décrétée par les Nations unies et je garde un
bon souvenir de sa bonne humeur et de son intérêt pour les problèmes
invoqués par des femmes de partout qui racontaient leurs petites
victoires et leurs grandes défaites. J’ai été assez impressionnée par
son ouverture d’esprit pour la recommander à René Lévesque, à qui
j’annonçais mon départ, en lui assurant que s’il le souhaitait, je lui
laissais quelqu’un qui pourrait prendre la relève. C’était Pauline
Marois. Ce qu’il fit.
Femme au pouvoir
J’ai donc connu Madame Marois pendant un an. Il y a de ça plus de 30
ans. Au cours des 30 dernières années, nous nous sommes vues quatre ou
cinq fois, pas plus. Nous nous sommes croisées dans des soirées où nous
étions invitées séparément. J’ai accepté une fois de rencontrer son
caucus pour lui raconter ce qu’avaient été l’année 1976 et les
suivantes, et lui expliquer que le Québec était plus à gauche qu’ils ne
semblaient le penser. C’était peu de temps avant l’élection du NPD par
le Québec. J’ai appris à la télévision récemment que Madame Marois était
grand-mère ! C’est vous dire la distance qu’il y a entre nous.
Quand je fais le tour des candidats éventuels pour la prochaine
élection, c’est sûr que j’ai plus d’affinités avec Madame Marois qu’avec
les autres. Mais j’ai aussi toute la distance nécessaire pour pouvoir
écrire franchement sur Madame Marois dans les années qui viennent, sans
me sentir obligée de me censurer de quelque façon que ce soit.
C’est évident que j’ai envie de voir une femme au pouvoir. J’en rêvais
déjà quand j’avais 12 ans. Parce qu’une femme va mieux diriger qu’un
homme ? Je n’en sais rien du tout. Il se peut que oui, il se peut que
non. J’imagine que ça tient à l’état de la nation à ce moment précis,
aux moyens qui seront disponibles financièrement et aux besoins que les
citoyens ne manqueront pas d’exprimer.
Ce que je peux vous affirmer, c’est que l’élection d’une femme, même de
Madame Marois, ne va pas me rendre muette ou aveugle. D’où je suis,
j’ai une bonne vue sur le monde politique que je connais assez bien de
l’intérieur pour en savoir toutes les forces et les faiblesses, pour
lire entre les lignes et même entre les mots. Je m’engage à avoir autant
de vigilance en ce qui concerne Madame Marois que Monsieur Charest,
même si je sais que ces deux-là ne mangent pas à la même cantine.
Oh… Et puis, je suis toujours une femme de gauche parce que je souhaite un monde plus juste. Mais ça, vous le saviez déjà.
Lise Payette
Le Devoir, 6 juillet 2012