« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


vendredi 8 janvier 2016

Canada – Agents provocateurs de la police démasqués lors d’une manifestation anti-austérité à Montréal

 
 
 
 
De nouvelles révélations ont vu le jour concernant l’utilisation par la police de Montréal de provocateurs déguisés en manifestants «Black Bloc» lors de la manifestation du 18 décembre contre la violence policière et les politiques anti-austérité du gouvernement libéral du Québec.
 
Au début, la police a refusé d’admettre qu’elle avait infiltré la manifestation. Mais maintenant, elle défend fermement les actions d’un infiltrateur policier qui a sorti son pistolet et menacé les manifestants qui l’avaient «démasqué» en tant qu’agent provocateur de la police.
 
Le soir en question, environ 100 personnes, la plupart des étudiants, se sont rassemblées pour une manifestation. Alors que la marche progressait dans les rues du centre-ville de Montréal, des feux d’artifice ont été tirés vers les lignes de police depuis les rangs des manifestants. La police a répliqué en tirant des grenades lacrymogènes et aveuglantes-assourdissantes contre les manifestants.
 
Vers la fin de la confrontation, une étudiante universitaire Katie Nelson, qui a déclaré que la manifestation est «étrangement devenue violente immédiatement», a remarqué quatre hommes masqués et vêtus en noir qui semblaient être des membres de la formation anarchiste «Black Bloc». Lorsque l’un des hommes a enlevé son masque, Nelson l’a immédiatement identifié comme un policier en civil qui l’avait arrêtée lors d’une manifestation précédente. Ayant vu que Nelson l’avait reconnu, l’infiltrateur policier a rapidement remis son masque avant de murmurer quelque chose à l’un de ses comparses infiltrateurs.
 
Peu de temps après, une brève mêlée s’est ensuivie. Deux agents infiltrateurs ont arrêté un manifestant qui avait également remis en question leur identité, lui écrasant le visage au sol. Un membre de la presse qui s’est approché pour enregistrer l’incident a aussitôt été malmené. Alors qu’elle s’éloignait de la scène, Nelson a été violemment frappée par derrière par l’un des hommes qu’elle avait identifié comme un agent provocateur. Elle a été emmenée en ambulance pour être hospitalisée avec une grave blessure au cou et une possible commotion cérébrale.
 
Au milieu de tout cela, plusieurs manifestants ont convergé sur trois des policiers en civil pour exiger qu’ils s’identifient et disent pour qui ils travaillent. C’est alors que l’un des agents a sorti et pointé une arme sur les manifestants. Interrogé quelques jours plus tard par la presse à propos de cet incident, le porte-parole de la police de Montréal Ian Lafrenière a défendu avec véhémence les actions de l’infiltrateur policier, affirmant qu’il avait craint pour sa vie. Selon Lafrenière, les policiers en civil ont crié : «”Police, reculez! “Ça n’a pas fonctionné, alors l’agent a sorti son arme à feu et, à ce moment-là, les gens sont partis.»
 
Le maire de Montréal, Denis Coderre et le ministre de la Sécurité publique du Québec Pierre Moreau ont refusé d’émettre tout commentaire sur les actions de la police lors de la manifestation du 18 décembre. Leur silence implique un soutien aux pratiques policières – des pratiques d’infiltration de manifestations, d’incitation à la violence et d’intimidation de manifestants avec une arme mortelle.
Cela n’est pas la première fois que la police utilise des provocateurs pour justifier l’adoption de mesures répressives visant à limiter, pour ne pas dire abolir pratiquement le droit démocratique de manifester pour s’opposer à la politique gouvernementale.
 
Dans des documents publiés en 2011 dans le cadre d’une entente de plaidoirie entre 17 activistes sociaux et les procureurs de la Couronne, il a été révélé que 12 agents de police avaient espionné ou infiltré des groupes de protestation qui avaient l’intention de participer à des manifestations à Toronto contre les dirigeants mondiaux lors du sommet du G-20 de juin 2010. Au moins deux de ces agents infiltrateurs ont joué un rôle central dans l’organisation des activités de protestation de divers collectifs anarchistes. Leurs actions comprenaient notamment d’aider à désigner des cibles à vandaliser dans le centre de Toronto.
 
Pour ne citer que quelques autres incidents de provocation policière, nommons l’affaire Germinal largement médiatisée et survenue au Sommet des Amériques qui a eu lieu à Québec en avril 2001. Quelques jours avant le sommet, la police a arrêté sept jeunes hommes en route vers Québec qui avaient en leur possession des bâtons, des bombes fumigènes, des grenades factices et des masques à gaz. Les médias ont alors claironné l’incident et applaudi les mesures de sécurité draconiennes entourant le sommet.
 
Rapidement cependant, l’affaire a été démasquée comme étant une provocation de l’État. Le réputé chef du groupe Germinal était un ex-membre des Forces armées canadiennes. Sur les 15 membres du groupe, deux autres au moins étaient des agents doubles de la GRC, et deux autres des militaires. C’est l’un des militaires qui a introduit les taupes de la GRC au sein du groupe Germinal. Les agents de la GRC ont exhorté le groupe à utiliser des cocktails Molotov à Québec, une idée rejetée par le groupe du fait de la possibilité de dommages ou de blessures. Les taupes ont également fourni une grande partie de l’équipement utilisé pour incriminer les membres du groupe Germinal.
 
Un modus operandi antidémocratique similaire a été démasqué à Montebello, au Québec en 2007, en partie grâce à une vidéo amateur diffusée sur Internet. Les documents vidéo montrent comment des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) déguisés en manifestants anarchistes ont cherché à provoquer des batailles entre la police antiémeute et les manifestants qui protestaient contre une réunion au sommet des présidents américain et mexicain et du premier ministre canadien.
 
La vidéo montre trois hommes costauds, masqués et à l’allure agressive qui tentent de rejoindre un petit groupe de jeunes manifestants portant des drapeaux rouges et noirs. Une des brutes de la police porte une pancarte avec comme inscription « An end to war and globalization» (Pour la fin de la guerre et de la mondialisation). Un autre a une pierre en main.
 
L’un des organisateurs de la manifestation confronte les trois voyous. Il demande à celui tenant la roche de la laisser tomber et demande à chacun d’eux de montrer leur visage. L’un des hommes masqués bouscule alors l’organisateur et lui fait un doigt d’honneur. C’est à ce moment qu’un groupe de manifestants pacifiques se met à scander «Policiers! Policiers!» On entend un jeune manifestant dire : «Ils veulent nous tromper. Ils veulent que nous soyons agressifs avec eux. [...] ce sont des agents provocateurs.»
 
Dans l’intervalle, les trois hommes masqués se rapprochent tranquillement de l’escouade antiémeute qui forme un cordon à quelques pas. L’un d’eux murmure quelque chose dans l’oreille d’un policier. Après une brève mise en scène de bagarre, le cordon de police s’ouvre, laissant les hommes traverser avant qu’ils ne soient délicatement menottés. Alors que les trois hommes quittent la scène à pied, on voit clairement que les faux manifestants portent les mêmes bottes que leurs escortes policières.
 
Conformément à la procédure habituelle des forces de sécurité, les hauts responsables de la SQ ont catégoriquement nié au début que les trois hommes en question étaient des policiers. Mais après que la vidéo ait été postée sur YouTube, la SQ a été forcée d’admettre que les hommes étaient bien des policiers de la SQ.
 
Cette provocation de la police le mois dernier à Montréal est survenue alors que des centaines de milliers de travailleurs au Québec adoptaient des mesures de grève contre le gouvernement libéral du premier ministre Phillipe Couillard. Quelques jours avant la manifestation, la grande majorité du demi-million de travailleurs du secteur public québécois a en effet mené une grève d’une journée à l’échelle de la province pour s’opposer aux demandes de concessions et aux réductions sauvages dans les dépenses sociales.
 
La même semaine, 8000 cols blancs de la Ville de Montréal, sans contrat de travail depuis 2012, ont organisé un débrayage d’une journée et 2000 cols bleus de Montréal ont défié une ordonnance de la Commission des relations du travail de la province leur interdisant d’assister à une réunion syndicale pendant les heures de travail.
 
Dans des conditions d’agitation sociale montante, les services de police se retrouvent de plus en plus en première ligne dans la poussée de l’État pour criminaliser toute forme d’opposition de classe. Ces récents incidents de provocation policière doivent être gravés dans la mémoire de tous les travailleurs: Quand l’État déploie son appareil répressif sous le prétexte de lutter contre «l’extrémisme», il envoie ses propres voyous et agents provoquer du désordre et inciter à la violence.
 
Ses objectifs sont clairs : intimider les manifestants, décourager la population en général d’exercer son droit démocratique d’exprimer son opposition au programme réactionnaire de l’élite dirigeante et discréditer les opposants au gouvernement, en particulier les jeunes, en les présentant comme des vandales et des criminels.
Carl Bronski
Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 5 janvier 2016

lundi 4 janvier 2016

Timidité canadienne


@Dessin de Garnotte, Le Devoir

Josée Boileau
Le Devoir
 
Ainsi donc l’an neuf commence avec une violence qui nous est devenue coutumière : exécution, décapitation, vengeance, foules survoltées. Entendu d’ici, le bruit de ce monde en furie semble loin. Mais c’est oublier notre propre rapport trouble à l’Arabie saoudite, ce pays qui fait la loi et devant qui les gouvernements occidentaux s’inclinent, liés par le pétrole et le commerce des armes.

Qu’a d’abord dit le Canada en apprenant samedi que l’Arabie saoudite avait procédé à des exécutions de masse, incluant la décapitation du cheikh Nimr al-Nimr, passeport direct pour l’embrasement de cette région du monde ? Il s’est dit… « déçu ». Le rôle de leader que Justin Trudeau a promis de jouer sur la scène internationale venait à nouveau de rapetisser face à la fureur du monde. La timide déclaration du ministère canadien des Affaires étrangères a été rectifiée dimanche soir tant la situation l’exige. Mais l’ombre de nos liens avec l’Arabie saoudite plane.
 
Il faut en effet se rappeler que, il y a quelques mois, le quotidien torontois The Globe and Mail révélait que c’est en contravention des règles canadiennes qu’un discret contrat de vente de matériel militaire de quelque 15 milliards de dollars, le plus important du genre jamais conclu au Canada, était intervenu entre une société de la Couronne, la Corporation commerciale canadienne, et l’Arabie saoudite. En vertu de ce contrat, des véhicules blindés légers seront fabriqués pour les 14 prochaines années par l’entreprise General Dynamics Land System (GDLS) de London, en Ontario.
 
Premier ministre de l’époque, Stephen Harper avait été pris à partie à ce sujet pendant la campagne électorale, notamment au débat des chefs et particulièrement par Gilles Duceppe, redevenu chef du Bloc québécois. M. Harper avait répliqué en défendant avec force les 3000 emplois que ce contrat créait, et en minimisant l’affaire. Il ne s’agit pas de ventes d’armes, disait-il, mais de véhicules !
 
Le premier ministre jouait sur les mots : les véhicules en question sont faits pour être équipés de canons, de mitraillettes ou de mortiers. L’affaire ne trompait ni les experts en armement ni les défenseurs des droits de la personne. Sus dès lors à Harper le guerrier, le même qui ramenait à un « incident » le sort du blogueur Raïf Badawi, châtié en Arabie.
 
Ce qui a été moins mis en relief, c’est que Justin Trudeau, politicien nouveau, souriant et à l’écoute, avait exactement la même position que M. Harper dans cette affaire. Lors d’un arrêt électoral à London en octobre, il s’était empressé de préciser que pas plus que M. Harper il n’entendait remettre en question le contrat de GDLS. Et il devait lui aussi affirmer par la suite, contre toute vraisemblance, qu’il s’agissait de ventes non pas d’armes, mais de Jeep.
 
Pour marquer la distance avec les conservateurs, M. Trudeau y était toutefois allé d’une vague promesse : un gouvernement libéral serait plus transparent en ces matières. À quoi il ajoutait un engagement plus structurant : un gouvernement libéral signera le Traité sur le commerce des armes, entré en vigueur en décembre 2014 et auquel le Canada n’a toujours pas adhéré, seul pays de l’OTAN à s’être ainsi abstenu. C’était là une promesse importante : sous l’administration conservatrice de Stephen Harper, les ventes de matériel militaire ont atteint des sommets. Ces dernières années, le Canada est devenu le 13e plus important exportateur d’armement au monde en ayant pour clients des pays comme l’Arabie saoudite, l’Inde et la Colombie.
 
Depuis qu’il a été élu, Justin Trudeau a confié spécifiquement le mandat de signer le traité à son nouveau ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion. Deux mois plus tard, silence radio. Pas étonnant qu’en transmettant leurs attentes envers le gouvernement libéral pour 2016, les dirigeants canadien et québécois d’Amnistie internationale aient réitéré l’urgence d’agir en ce domaine dès le début de l’année. Il s’agira ensuite d’arrimer ventes d’armes et exigences pour le respect des droits de la personne.
 
En attendant, il est d’autres moyens symboliques pour le premier ministre de se dissocier de l’implacable répression saoudienne : se porter, par exemple, à la défense de Raïf Badawi, ne serait-ce que le temps d’un égoportrait avec Ensaf Haidar, sa combative épouse, qui a trouvé refuge à Sherbrooke. Mais notre empathique nouveau premier ministre n’est pas prêt à intervenir personnellement en faveur de M. Badawi.« Ce n’est pas dans mes plans immédiats », a-t-il dit à La Presse canadienne à la mi-décembre. L’Arabie saoudite n’a décidément rien à craindre : en 2016 comme en 2015, au Canada comme ailleurs, les gouvernements ont beau changer, ils savent tous ménager leurs alliés.