« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ». Georges Orwell


mercredi 26 novembre 2014

Enweille à maison

@Photo: Anonyme

Francine Pelletier
Le Devoir

Les changements proposés en matière de frais de garde sont pratiquement insignifiants en comparaison au tsunami qui se prépare dans le domaine de la santé. Pourtant, c’est l’annonce de la hausse des tarifs dans les CPE qui ébranle les colonnes du temple. On joue ici avec un service qui implique l’avenir même du Québec : les femmes et les enfants. On n’y joue donc pas impunément. Bien que moins fortes que prévu, les hausses pourraient avoir un impact sur la natalité, plus assurément sur le nombre de femmes au travail. Enfin, c’est ici que les partisans de chaque côté de la clôture (la « juste part » c. le « pacte social ») se mettent à calculer fiévreusement.

Je loge de ce côté-ci du Grand Canyon (par ici, les pelleteux de nuages) et trouveles chiffres de l’économiste Pierre Fortin assez convaincants merci : 70 000 nouvelles travailleuses en 2008 seulement grâce aux garderies subventionnées. Le blogue de Gérald Fillion n’est pas mal non plus. Il démontre le retard que les Québécoises accusent sur le marché du travail par rapport aux femmes du Canada et de l’Ontario en 1995, leur rattrapage à partir de 1998, un an après l’instauration des garderies à 5 $, et ensuite la nette prédominance des Québécoises pour les 10 années suivantes. La courbe est impressionnante.

Mais que répondre à quelqu’un qui lance : « Un paquet de cigarettes coûte combien déjà ? Ah, oui, 9,39 $. » En d’autres mots, une augmentation quotidienne des frais de garde d’au plus 7 $ par jour c’est des pinottes au grand bal des consommateurs qui, en passant, ont toujours l’intention de se rendre en République dominicaine cet hiver. À cet égard, ceux qui prétendent qu’il est normal de payer davantage pour un programme qui coûte de plus en plus cher auront toujours un peu raison. Sauf que la question importante, pour les CPE comme d’ailleurs pour la hausse des droits de scolarité, ce n’est pas ce que ça coûte (aux individus), mais bien ce que ça vaut (pour la collectivité). Il est inutile de calculer la dépense des parents sans d’abord tenir compte du fameux enrichissement collectif.

L’arrivée des femmes sur le marché du travail est incontestablement le changement social le plus important depuis la révolution industrielle. Le temps dira si la révolution numérique finira par avoir des répercussions plus vastes encore, mais pour l’instant, à titre de grand bouleversement, rien ne bat la féminisation du travail — qui est aussi celle de l’éducation et, tranquillement pas vite, du pouvoir. Seulement, mis à part la pilule contraceptive, les garderies et les congés parentaux, rien n’a été fait pour accommoder cette vaste réorganisation sociale. On n’a pas repensé l’organisation du travail, les horaires ou même les toilettes. On n’a pas incité les hommes à la retraite pour faire place à la relève féminine. On n’a même pas insisté sur un changement d’attitude au sein des grandes institutions (Parlement, médias…), comme on a pu le voir récemment. N’eût été la politique familiale de Pauline Marois en 1997, les femmes du Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, n’auraient eu que leurs propres envie et/ou besoin de travailler pour les aider à s’intégrer au marché du travail. Or, elles ont pété des scores à cause justement de l’aide gouvernementale.

Cette réalité-là est immensément plus importante que le paquet de cigarettes dont on devra se passer pour faire garder ses enfants. De la même façon que c’est la société tout entière qui s’enrichit lorsque de plus en plus de jeunes poursuivent leurs études, tout le monde gagne lorsque les femmes ont accès au marché du travail. Financièrement, d’abord. Selon les calculs de Pierre Fortin, les impôts payés par les 70 000 nouvelles travailleuses en 2008 (1,7 milliard) excédaient les coûts du programme de garderies (1,65 milliard). Mais là encore, la valeur

Il y a une autre raison pour laquelle la règle de l’utilisateur-payeur ne tient pas la route.

C’est la supercherie implicite dans le fait de demander aux parents de payer davantage alors que les banques, les grosses entreprises, les multinationales, elles, ne paient pas leur juste partC’est l’absurdité de payer une vieille routière libérale 1100 $ par jour pour diriger une commission de « dégraissage » du gouvernement alors que ses compétences et son travail laissent à désirer.

Tout le monde est convaincu de l’utilité de faire du ménage dans les affaires de l’État. Mais encore faut-il qu’on passe le balai partout, sans oublier que l’émancipation de tout un chacun est le but ultime de tout gouvernement. Frottez dans les coins, c’est bien, mais en gardant la tête haute, c’est mieux.


jeudi 13 novembre 2014

Paradis fiscaux: qu’attend le Canada pour agir?



Louise Chabot - Respectivement présidente de la CSQ et président de la FTQ. Quinze autres personnes ont signé cette lettre*.  
Daniel Boyer

Lettre ouverte au ministre fédéral des Finances, Joe Oliver
Monsieur le Ministre,

Pendant que les budgets d’austérité se succèdent à Ottawa comme dans bien des provinces et que les gouvernements multiplient les compressions dans les services publics, les sommes qui échappent au fisc chaque année sont, elles, en constante augmentation. Ainsi, l’investissement direct à l’étranger des Canadiens dans les paradis fiscaux a connu une croissance démesurée de 1500 % en 13 ans.

Le phénomène des paradis fiscaux nous force aujourd’hui à l’action politique rapide et déterminée. L’ampleur du problème est incontestable : selon Statistique Canada, en 2013, 170 milliards de dollars d’investissements directs à l’étranger étaient placés dans des paradis fiscaux ; parmi lesquels la Barbade, qui regorge si abondamment de capitaux canadiens qu’elle est aujourd’hui le troisième partenaire financier du Canada à l’échelle internationale. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), 50 % des transactions financières mondiales concernent des comptes extraterritoriaux localisés dans des paradis fiscaux. L’économiste James Henry a estimé qu’entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars étaient placés dans des paradis fiscaux à l’échelle mondiale en 2010.

L’accès à ces échappatoires fiscales n’est pas généralisé. Ces législations de complaisance sont réservées à une certaine élite économique constituée de banques, de grandes entreprises multinationales et de détenteurs de fortunes personnelles. Les contribuables et les petites et moyennes entreprises (PME) doivent ainsi assumer un fardeau fiscal de plus en plus grand pour financer des services de moins en moins nombreux. Lorsque les citoyens et les groupes concernés se plaignent de cette injustice fiscale, les gouvernements leur répondent qu’ils sont menottés par le contexte international, que l’interdépendance économique qui caractérise notre monde globalisé limite l’action d’un État comme le Canada.

« Arrière-gardiste »

Non seulement ces explications fatalistes empêchent-elles les gouvernements de lutter sérieusement contre l’évasion fiscale, mais de plus, elles contribuent à accentuer le problème en servant de justification pour la mise en place d’une fiscalité sans cesse plus accommodante pour les grands investisseurs internationaux sous prétexte de les inciter à garder ici leurs capitaux. On réduit l’impôt des grandes entreprises, on réduit l’imposition sur les gains en capital, on élimine la taxe sur le capital, on exonère d’impôt certaines entreprises d’exportation et on signe même un nombre grandissant de conventions avec des paradis fiscaux. Ces conventions fiscales et accords d’échange de renseignements fiscaux (AERF) signés avec des paradis fiscaux permettent aux Canadiens de rapatrier des capitaux de leurs comptes extraterritoriaux sans qu’ils y soient imposés.

Pourtant, alors qu’une mouvance internationale se constitue autour de cette question, nous sommes surpris de voir que le Canada est pratiquement absent du dialogue multilatéral. Certains qualifient même la présence internationale canadienne dans le combat contre l’évasion fiscale « d’arrière-gardiste », ce qui est pour le moins gênant.

Ne désirant plus attendre qu’une réponse toute faite nous soit livrée par la communauté internationale, nous désirons que le Canada s’engage activement dans la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscal international. Le collectif Échec aux paradis fiscaux a récemment publié un rapport proposant sept solutions concrètes que le gouvernement fédéral pourrait appliquer dès aujourd’hui. Elles proposent en substance au gouvernement d’imposer des pénalités aux auteurs de déclarations volontaires, de prendre part activement à la lutte internationale contre les paradis fiscaux qui existe bel et bien et à abroger ses propres mesures lorsqu’elles favorisent les paradis fiscaux. En termes plus techniques :

Modifier les régimes de divulgation volontaire pour y prévoir des pénalités aujourd’hui inexistantes en s’inspirant des programmes états-uniens Offshore Voluntary Disclosure Initiative (OVDI) et Stream Line Program ;

Participer aux accords multilatéraux d’échange automatique de renseignements fiscaux ;

Retirer l’avantage fiscal prévu aux accords d’échange de renseignements fiscaux ;

Revoir certaines conventions fiscales ;

Modifier la définition de « pays désigné » au paragraphe 5907 (11) des Règlements de l’impôt sur le revenu ;

Supprimer les fiducies de revenu non imposables ;

Joindre l’initiative Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Ces recommandations, qui sont davantage détaillées dans le rapport « Paradis fiscaux : des solutions à notre portée », sont réalistes et sensées.

Nous vous demandons d’étudier avec soin ces recommandations et de les appliquer. Nous faisons appel à votre sens de la justice et de l’équité. Le Canada doit maintenant agir et s’attaquer sérieusement à ce fléau généralisé.
* Carolle Dubé, présidente, Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS); Claude Vaillancourt, président, ATTAC-Québec; François Vaudreuil, président, Centrale des syndicats démocratiques (CSD); Louise Chabot, présidente, Centrale des syndicats du Québec (CSQ); Daniel Boyer, président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ); Alexis Tremblay, président, Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ); Jonathan Bouchard, président, Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ); Line Larocque, première vice-présidente, Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ); Lucie Martineau, présidente générale, Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) et porte-parole du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP); Élisabeth Gibeau, analyste politiques sociales et fiscales, Union des consommateurs; Yan Grenier, président du c.a., Les AmiEs de la Terre de Québec; Alain Deneault, chercheur, Réseau pour la justice fiscale/Québec; Dominique Daigneault, présidente, Conseil central du Montréal métropolitain CSN (CCMM-CSN); Kim De Baene, co-porte-parole, Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics; Alain Marois, vice-président à la vie politique, Fédération autonome de l’enseignement (FAE); François Saillant, coordonnateur, Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU); Dominique Peschard, président, Ligue des droits et libertés

Source: Le Devoir